Elections municipales : six maires bien vivants pour six communes fantômes

Les 23 et 30 mars prochains, les électeurs des 36 682 communes françaises se rendront dans leurs bureaux de vote respectifs pour y déposer le bulletin de leur choix. Un rituel démocratique partout identique, sauf dans six communes de la Meuse où aucun électeur ne se présentera à la porte du bureau de vote, et pour cause : ces six villages ne comptent plus un seul habitant. Pourtant, elles seront bien gérées par un Maire en mars prochain…

L’enfer sur terre

Elles ont des noms comme on en trouve sur les cartes routières, dès qu’on s’écarte un brin des grands centres urbains. Beaumont-en-Verdunois, Bezonvaux, Cumières-le-Mort-Homme, Fleury-devant-Douaumont, Haumont-près-Samogneux et Louvemont-Côte-du-Poivre. Toutes sont situées dans la Meuse, à deux pas les unes des autres. Toutes ont un point commun : peuplées de quelques centaines d’habitants voici un siècle, elles sont aujourd’hui abandonnées. Plus personne n’y vit pour une raison qui tient en un seul mot : Verdun.

De février à décembre 1916, l’une des batailles les plus meurtrières de l’histoire de l’humanité fit plus de 700 000 morts, équitablement répartis entre les armées françaises et allemandes. Un déluge à peine imaginable d’obus – 60 millions - tuera en moyenne une centaine d’hommes par heure, chaque jour, pendant dix mois. Les bois, les vallées, les contours des champs et les tracés des ruisseaux sont annihilées. Une des collines des environs de Verdun, la cote 304, perdra 7 mètres d’altitude en quelques jours.

Et comme les guerres ne tuent pas que les hommes, ce sont aussi des villages entiers qui disparaissent, rasés jusqu’aux fondations par une masse de métal qui retourne dix, vingt fois chaque mètre carré d’un champ de bataille qu’on se disputera avec un acharnement qui touche à la folie furieuse : Bezonvaux, 150 habitants en 1913, sera pris et repris seize fois en deux mois par les troupes allemandes et françaises.

Bien vivantes avant-guerre, avec leurs églises, leurs mairies, leurs commerces, leurs écoles et leurs corps de fermes, les six communes sont littéralement rayées de la carte à la fin de 1916. Elles n’ont jamais été reconstruites depuis : les terrains, retournés par des milliers de tonnes d’obus dont un bon quart n’ont pas explosé en 1916. Ils sont toujours là, à quelques dizaines de centimètres sous la surface du sol. Impossible d’y vivre, d’y cultiver ou d’y reconstruire quoi que ce soit.

Polluées, dangereuses pour des centaines d’années, ces terres situés au cœur de la « zone rouge » (du nom du trait de couleur tracé par les cartographes chargés après 14-18 de délimiter les surfaces impropre au retour de la population, le long des lignes de front) furent rachetés par l’Etat - 13 000 hectares au total, confiés à l’Office National des Forêts. Les propriétaires, évacués à l’approche des combats et souvent toujours vivants, furent expropriés.

Communes fantômes

Désertées,  mortes – c’est d’ailleurs le mot que retiendront les députés, après-guerre, en les désignant comme des villages « morts pour la France », avec Croix de guerre – mais pas disparues, ces communes. En octobre 1919, à quelques semaines des élections municipales, l’Assemblée nationale vote une loi qui sonne comme un hommage. En mémoire des six villages meusiens, elle crée non des conseils municipaux, mais des commissions de trois membres nommés par le Préfet. Leurs présidents sont considérés comme des Maires, en portent le nom et disposent des mêmes attributions et des mêmes pouvoirs, à quelques exceptions près : ils ne sont pas considérés comme de grands électeurs et ne peuvent donc pas voter lors des élections sénatoriales. Ils ne sont pas non plus en mesure d’apporter leur parrainages aux candidats à la présidentielle lorsque ceux-ci cherchent à recueillir les fameuses 500 signatures, nécessaires pour se lancer dans la course.

Ça fait quoi, le Maire d’un village détruit ?

Alors à quoi s’occupent les Maires de ces six villages ? Ils entretiennent les monuments aux morts, les plaques et les chapelles commémoratives ainsi que les parcours de mémoire mis en place au cours des décennies. Ils maintiennent ouverts des registres d'état civil où il n'y a rien ou presque à signaler, définitivement bloqués sur la mention « Habitants : zéro ».

Aujourd’hui encore, ces communes disposent de leur propre code postal. Leurs maires siègent à la communauté de communes, sans étiquette politique le plus souvent. Ils portent l’écharpe tricolore au même titre que n’importe quel Maire de France et célèbrent même des mariages… Ils votent le budget (20 000 euros à Fleury-devant-Douaumont) et reçoivent des subventions, destinées à financer l’entretien des chemins le long desquels les arbres ont repoussé sans parvenir à masquer les entonnoirs creusés par les obus. Ils mettent en place des parcours explicatifs, destinés à raviver le souvenir des villages martyrs. Ils jouent un rôle d’historien, mettent en place des animations destinées à réunir les descendants des familles qui vivaient là : banquets du souvenir, concerts de retrouvailles…

Un devoir de mémoire donc, dont l’écho prend une dimension particulière en cette année de centenaire.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu