40 ans avant celui du Rafale, le bide du Concorde

Ça vire au comique de répétition : le Rafale vient à nouveau de se prendre un bide sur le marché brésilien. Un nouvel échec qui s’ajoute aux décisions des gouvernements coréen, marocain, suisse, hollandais, singapourien, grec, anglais… Dassault pourra toujours se consoler en se rappelant que le Rafale n’est pas le premier avion français emblématique à se faire tailler des croupières à l’export, même si l’autre était civil. Retour sur un autre échec commercial célèbre : le Concorde.

Pourquoi il aurait dû réussir

Il avait pourtant tout pour lui, le Concorde. Il reste à ce jour le seul avion de ligne supersonique au monde avec le Tupolev 144. Et encore : son concurrent russe ne vola jamais ou presque. Et en tout cas pas le jour de sa présentation au Bourget, puisqu’il s’y écrasa en 1973 avec tout son équipage : 14 morts en tout et un gros tas de roubles gâchés pour un avion qui finira sa carrière aux services postaux soviétiques …

Développé par l’Aérospatiale (beaucoup) et British Airways (moins), le Concorde était une belle idée de partenariat franco-britannique, destiné à réduire des coûts de développements ahurissants. A son entrée en service, l'avion au nez penché avait 20 ans d’avance. Construit à Toulouse, ce géant de 60 mètres à la célèbre silhouette volait à Mach 2 : plus de 2000 km/h tout de même. Soit la vitesse d’une balle de fusil et la possibilité de relier Paris et New York en un peu plus de 3h40, avec une centaine de passagers à bord, dont certains aficionados comme Rostropovitch, qui réservera toute sa vie deux places : une pour lui, une pour le violoncelle le plus rapide du monde.

Après le lancement du projet en 1962, le Concorde devint une réalité concrète en 1968 avec les essais du prototype ; en 1971, une tournée mondiale est organisée pour assurer la « réclame ». Cinq appareils sont commandés par British Airways le 5 avril 1972, qui devient le premier client de l'avion. La même année, le second prototype fait des démonstrations au Moyen Orient en Asie. Celles-ci amènent un nombre important de commandes pour l’avion et fin 1972, seize compagnies aériennes, dont huit nord-américaines se sont déjà engagées sur 74 commandes, options d’achat comprises.

Mais dès 1972, plusieurs compagnies se rétractent au lendemain du premier choc pétrolier : Air Canada, American Airlines, TWA, Pan Am, United Airlines, Continental Airlines... Unique en son genre, moderne, racé, le Concorde aurait pourtant pu être un succès, d’autant que son seul concurrent potentiel après l’échec des Soviétiques, l’américain Boeing, fait pâle figure au même moment.

Boeing vs. Concorde

Dans les années 70, ce n’est rien de dire qu’Henri Ziegler, le PDG de l'Aérospatiale, et Thornton A. Wilson, celui de Boeing, ne peuvent pas s’encadrer. Rude combat : l’Américain a reçu dans le milieu de l’aéronautique le doux surnom de Jack l'Éventreur. Et Boeing est un mastodonte. La firme de Seattle a dans son catalogue quelques succès d’anthologie, dont les Jumbo Jets, les Boeing 747 et les Boeing 727 qui ont pris la relève des Caravelle françaises et des Trident anglais. Avec Douglas et Lockheed, ils se partagent le marché du transport aérien de masse à bon marché.

Lors du lancement du projet en 62, Boeing avait commis l’erreur de parier sur l’échec franco-anglais et s'était lancé en catastrophe et avec quatre ans de retard dans un projet rival. L’avion prévu, qui devait compter 300 places et atteindre 2.800 km/h, coûta au constructeur américain un paquet mémorable de pognon pour se résumer à un prototype aux ailes repliables, doté comme le Concorde (tiens tiens) d’un bec basculant et… d’une cabine de pilotage éjectable en vol, des fois que le commandant de bord décide d’abandonner tout le monde pour aller se baigner.

Échec technique total ou presque, d'autant que le Congrès subit alors l’impact d’une campagne de lutte contre la pollution de la stratosphère et refuse d'accorder des crédits supplémentaires.

Pourquoi il s’est viandé

Boeing va contre-attaquer sur un autre terrain, à coup de lobbying et de tracasseries judiciaires et profiter surtout du soutien fort commode de la Federal Aviation Administration (FAA), qui interdit le survol des USA en vitesse supersonique pour les appareils civils…En général, hein. Mais comme le Concorde est le seul avion en état de marche...Pendant que les ingénieurs de Boeing se plantent mais que leurs lobbyistes réussissent, les essais du Concorde se poursuivent. L’avion obtient son certificat de navigabilité britannique et quelques vols commerciaux peuvent débuter en janvier 1976 : Paris-Rio de Janeiro et Londres-Bahreïn.

En février 1976, les USA autorisent enfin des vols supersoniques en direction de Washington et de New-York, à titre de test. Deuxième coup de bambou : après une année d’essai, le verdict tombe et le Concorde n'est pas autorisé à se poser à New-York, sous la pression des écologistes et d’associations de New-Yorkais. Boeing se faisant bien évidemment un plaisir de souffler sur les braises.

Un procès commence. Concorde gagnera et obtient en janvier 1977 le certificat de navigabilité de la FAA. C’est cinq ans trop tard : les retards avaient paralysé toutes les commandes et fut fatal au développement commercial du projet. Comment une compagnie pouvait-elle acquérir une flotte de Concorde alors que ces derniers risquaient de ne jamais pouvoir se poser dans le pays qui génère le plus de trafic aérien au monde ?

Lente agonie

Dès septembre 1979, la production du Concorde cessa définitivement - 16 appareils seulement avaient été produits…. Les lignes "exotiques" furent supprimées les unes après les autres et seuls les vols Londres-New York et Paris-New York subsistèrent, accumulant des pertes inévitables : le second trajet ne représente qu'un volume de 56 500 passagers par an…Le crash de Gonesse, en 2000, ne fut jamais que la dernière pelletée de terre jetée sur le couvercle du cercueil de l’avion le plus classe du monde.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu