« Et Earello Endorenna utúlien* » : Tolkien est mort voici 40 ans, le deuxième volet de l’adaptation du Hobbit par P. Jackson sort aujourd’hui et Noël approche : on devrait encore en trouver quelques-uns sous les sapins dans les semaines qui viennent. L’occasion de revenir sur un monde dont vous ne savez peut-être pas tout, même aujourd’hui, même après 15 ans de marketing à haute dose.
Même ses amis n’accrochaient pas toujours
Le premier public de J.R.R Tolkien fut un cercle purement masculin et très fermé, les Inklings : un club d’universitaire et d’écrivains réunis autour de l’auteur de Bilbo et à qui ce dernier lisait ses derniers brouillons, soigneusement tapés (à deux doigts : chapeau, le manuscrit fait 9250 pages…) sur une machine à écrire…. Dans une ambiance pas toujours aussi recueillie qu’on se l’imagine : un certain Hugo Dyson, par ailleurs fin spécialiste de Dickens, étendu sur un sofa, ne put s’empêcher de s’écrier un soir : « Oh f… ! Not another elf! » (« Pitié non, pas encore un elfe ! »).
La Terre du Milieu se trouve du côté de… Birmingham.
Succès oblige, la critique a fini par saluer le travail inouï que Tolkien consacra à décrire la Terre du Milieu, presque plante par plante, au point de réécrire régulièrement des passages entiers de l’œuvre. Si Peter Jackson a choisi sa Nouvelle Zélande natale pour donner vie aux chemins de la Comté ou aux plaines du Rohan, il aurait pu tourner aussi du côté de… Brimingham et de ses environs, où Tolkien vécut un bon moment et dont l’Université ressemblait alors à ça :
Et le Mordor en est plus proche que dans le livre : le nord-ouest de Birmingham est alors surnommé le Black Country, le Pays Noir. Outre la météo lamentable qui règne en Angleterre et sur laquelle nous ne nous étendrons pas, la région est marquée par une inimaginable pollution. Mines de charbon, fonderies de fer, aciéries font de l’air ambiant une atmosphère si dense, chargée de smog et de poussière de minerai, qu’il ne faut pas chercher trop loin la source de Tolkien quand il s’est agi de décrire les plaines fumantes et désolées du Mordor ou le machinisme destructeur des troupes de Saroumane.
Ah oui : il se trouve que Birmingham est aussi connue pour abriter deux tours assez caractéristiques, dont celle-ci : mais aucun lien, sans doute.
John Lennon a bien failli jouer Gollum
Oui oui, John Lennon, celui des Beatles.
En 1968, dix ans après la sortie du livre, Lennon et l’ensemble du groupe sont en plein boom, sur scène comme au niveau financier. Ils ont créé leur propre société d’édition, Apple Records, qui comprend une petite entité dédiée au cinéma, Apple Films.
C’est Paul Mc Cartney lui-même qui raconta la suite à Peter Jackson : Lennon, grand admirateur du livre, approcha Tolkien pour obtenir les droits d’un film qu’il s’imaginait réalisé par… Stanley Kubrick. Le projet était suffisamment avancé pour que les rôles soient déjà distribués : à Lennon le rôle de Gollum, donc, à Harrison celui de Gandalf et à Ringo celui de Sam. Tolkien, profondément allergique à la culture pop en général et à la musique rock en particulier, ne donna finalement pas suite. Ce qui est regrettable, la simple idée de voir Lennon susurrer « My preciousss » étant assez fascinante.
Pour la petite histoire, d’autres groupes ne se gêneront pas pour rendre hommage à leur auteur favori de façon plus classique, à commencer par Led Zeppelin dont les titres The Battle of Evermore et Misty Montain Hop évoquent directement le Seigneur des Anneaux.
Son éditeur français n’en avait pas lu une ligne…
Publié en 1957, le Seigneur des Anneaux attendit… 18 ans avant de sortir en France. Intrigué par les hommages successifs de deux écrivains un peu plus réactifs que les autres, Jean-Louis Curtis et Jacques Bergier (le co-auteur du Matin des Magiciens), Christian Bourgois propose à l’éditeur anglais Allen & Uwin la somme de… 600 livres, soit 18 000 euros d’aujourd’hui. Vendu. Sans être un raz-de-marée comparable à celui qui se joue sur les campus américains ou l’épopée de Tolkien fascine les étudiants depuis la fin des sixties, l’édition française du Seigneur des Anneaux sauvera un éditeur qui n’en avait pas lu le premier mot mais qui avait eu du pif. Il n’était pas le seul puisque…
…Son illustrateur américain non plus
En 1965, la trilogie du Seigneur des Anneaux suivait déjà son bonhomme de chemin en Angleterre depuis une dizaine d'année. Sans être un immense succès et en dépit d’un accueil critique mitigé, le livre était une relative réussite financière. La même année, un éditeur américain, Ace Books… pirate le bouquin. Sérieusement : il en édite une copie en poche, sans payer le moindre droit, et le sort à 75 cents le volume.
Tolkien, légèrement agacé, se tourne alors vers un autre éditeur américain, Ballantine Books, pour faire éditer une version légale et toucher les droits d’auteur qui en résultent. Non seulement Ballantine traîne un peu – en grande partie par la faute d’un Tolkien qui en profite pour faire retouche sur retouche – mais l’édition pirate se porte fort bien, merci pour elle, et contribue à diffuser le Seigneur des Anneaux sur les campus américains.
Pressé par le temps, Ballantine accélère la parution et l’édition américaine sort enfin – Tolkien s’étouffe en découvrant l’illustration de couverture, et il y a de quoi :
Parfaitement : il y a deux émeus, plus un lézard sur le tronc d'un arbre qui porte des fruits rouges bizarres sur fond de grand ciel bleu – aucun, mais alors AUCUN lien avec le livre, donc. Et pour cause : l’illustrateur n’a pas eu le temps de le lire et devait probablement consommer plus de LSD que tout Berkeley…"Je commence à croire que je suis enfermé dans un asile de fous", écrit Tolkien. A quelque chose, malheur est bon ; le conflit entre les éditeurs fait parler du livre qui se vend comme des petits pains : en 1968, il franchit le cap des 3 millions d’exemplaires et devient la Bible d’un mouvement hippie et étudiant qui y voit une fable écologiste et pacifiste, un éloge de l’herbe qui fait rire et une allégorie de la lutte contre un pouvoir tentaculaire.
De quoi agacer profondément Tolkien, déçu de voir relégué au second plan la profondeur linguistique de son travail et fâché de ce « culte déplorable » qui en fit un homme richissime sur la fin de sa vie, mais rompit sa tranquillité.
* "De la grande mer en Terre du Milieu je suis venu"