C'était un vendredi. Il fut abattu aux côtés de sa femme, d’une balle qui entra par l’arrière de sa tête, et son assassin fut abattu avant d’être jugé. Sa mort ouvrit la porte de la maison blanche au vice-Président Johnson. Kennedy ? Non : Lincoln.
A l’heure où le monde se souvient de l’attentat de Dallas qui coûta la vie à JFK voici 50 ans, retour sur la mort du premier des quatre Présidents américains qui moururent assassinés au cours de leur mandat.
« Elle n’en pensera rien du tout »
Le soir du vendredi 14 avril 1865, Abraham Lincoln et son épouse arrivent au Théâtre Ford, à Washington. On y donne une pièce de Tom Taylor, Our American Cousin, une comédie qui se taille son petit succès depuis déjà sept ans. Les Lincoln en manquant le début : le Président a été retardé à la Maison Blanche par une requête en grâce d’ailleurs acceptée – son dernier acte officiel. La pièce s’interrompt quelques instants, le temps pour le public d’applaudir l’arrivée du Président et de la First Lady dans leur loge. Ils y retrouvent leurs invités, le major Henry Rathbone et sa fiancée, Clara Harris. La pièce reprend, saluée par les rires d’un public conquis d’avance.
Devant le théâtre arrive au même un jeune homme qui confie son cheval à un machiniste : John Wilkes Booth, un jeune comédien excessivement moustachu, bien connu des salariés du théâtre. Personne n’est surpris de le voir monter dans les étages. Et personne ne le voit se glisser sans un bruit dans l’antichambre de la loge présidentielle, dont il bloque la porte.
Juste devant lui, dans la pénombre, Mme Lincoln se penche vers son mari et lui prend la main. « Que va penser Mlle Harris, que je vous tienne ainsi la main ? » murmure-t-elle à son mari. « She won't think anything about it » (« Elle n’en pensera rien du tout »), répond le Président. Ce furent ses derniers mots.
Acte III, scène 2 : un tir au milieu des rires
En retrait, dans le noir, Booth arme son Derringer, un pistolet de poche à un seul coup mais de gros calibre : du .44, le même que celui du Magnum de l’inspecteur Harry. Et il attend.
En bon comédien, Booth connait les répliques de la pièce sur le bout des doigts et sait qu’à l’acte III, un dialogue de la scène 2 fait toujours éclater de rire les spectateurs. Il compte sur le brouhaha pour couvrir la détonation et gagner ainsi quelques précieuses secondes dans sa fuite. A l’instant précis où la réplique retentit, Booth s’avance et tire à bout portant dans la tête du Président.
Atteint derrière l’oreille gauche, Lincoln s’effondre. Sa femme et la fiancée du major Rathbone poussent un cri de peur. Le major se lève brusquement pour tenter de retenir l’assassin, mais Booth est le plus rapide : il se dégage en deux coups de poignard, monte sur le rebord de la loge présidentielle et… se prend les pieds dans une tenture. Il s’écrase tête la première au beau milieu de la scène, devant les comédiens sidérés. La jambe brisée, il parvient pourtant à se relever et à hurler face au public « Sic semper tyrannis ! » (« Ainsi en est-il des tyrans ! »)
Au milieu de la panique, un jeune chirurgien, Charles Leale, garde son calme et rejoint la loge présidentielle. Il néglige la (grave) blessure du Major Rathbone et examine le Président, effondré sur son fauteuil dans la pénombre. Aidé par un confrère, Leale étend Lincoln sur le sol. Il respire à peine et parait paralysé.
Médecin militaire, Leale comprend vite que la blessure est mortelle. Il parvient pourtant à extraire un caillot de sang de la blessure et Lincoln semble respirer un peu mieux. Avec l’aide de quelques hommes, on transporte avec d’infinies précautions le Président au premier étage de la pension Petersen, située en face du théâtre. A peine étendu, il tombe dans le coma.
La mort du Président n’est plus qu’une question d’heures. Officiers et membres du gouvernement arrivent au cours de la nuit et se succèdent à son changement. La chaine de commandement est réorganisée. Le 15 avril à 7h22, le Président s’éteint à 56 ans. Les hommes présents, pour la plupart de vieux compagnons de Lincoln, se mettent à genoux et prient. Beaucoup ont les larmes aux yeux. En se relevant, le Secrétaire à la Guerre Edwin Stanton murmure : « Il appartient désormais à l’éternité. »
Complot sudiste
En 1865, la guerre de Sécession touche à sa fin. Le camp confédéré, petit à petit débordé, est en train de perdre la guerre. Booth, sudiste convaincu que seul la disparition de Lincoln pourrait renverser le cours de la guerre civile, préparait de longue date un attentat contre Abraham Lincoln. Après avoir imaginé l’enlever, il finit par décider de l’abattre au lendemain d’un discours dans lequel le Président affirmait sa volonté de donner le droit de vote aux Noirs.
Le meurtre de Lincoln n’était au demeurant qu’un des trois attentats prévus ce soir-là. Deux autres assassinats étaient prévus, l’un visant un secrétaire d’état et l’autre le vice-président Johnson. Les conjurés, tous Sudistes, comptaient bien déséquilibrer l’ensemble du pouvoir yankee. Mais ce soir-là, Booth fut le seul à réussir à son coup.
« Mettez-le à un endroit où il ne dérangera pas »
Entamée dans la nuit du 14 au 15 avril, la chasse à l’homme redouble d’intensité dans les heures et les jours qui suivent. Malgré sa blessure, Booth avait réussi à retrouver son cheval et à prendre la fuite à bride abattue pour rejoindre les autres conjurés.
Jambe cassée ou non, Booth resta en cavale plus longtemps qu’Oswald, une bonne dizaine de jours en tout. Il se réfugia pour finir dans une ferme de Virginie, le temps de se désespérer des réactions populaires : convaincu d’être un nouveau Brutus, le meurtrier s’attendait à être applaudi pour ce crime qu’il jugeait légitime et nécessaire.
L’armée retrouve sa trace. Le 26 avril, l’attaque est lancée. Réfugié dans une grange à foin, Booth refuse de se rendre, contrairement à un de ses complices. Les soldats mettent le feu au bâtiment, forçant Booth à sortir. Alors qu’aucun ordre de tir n’est donné, un sergent, Boston Corbett se faufile dans le dos de l’assassin et ouvre le feu. Sa balle traverse la colonne vertébrale de Booth au niveau du cou. Le jeune homme s’effondre, paralysé et agonisant. Il mourra le surlendemain en murmurant un dernier mot : « Useless, useless » (« Inutile, inutile »). Diagnostic très juste au demeurant, cette fois-ci : la mort de Lincoln ne changea rien à la situation politique. Deux mois après la mort de Lincoln, le dernier général Sudiste se rendit. La Guerre de Sécession était terminée.
Informé de la mort de Booth, le Secrétaire d’Etat Stanton – encore lui – eut cette phrase : « Mettez-le à un endroit où il ne dérangera pas, jusqu'à ce que Gabriel sonne de sa dernière trompette ».
Epilogue et anecdotes
Contrairement à ce que Booth avait espéré, la mort de Lincoln toucha profondément l'Amérique. Loin de se soulever en masse en faveur du Sud, des centaines de milliers d’Américains, pour beaucoup en larmes, assistèrent à la procession funèbre organisée à Washington. Des millions d’autres les avaient précédés, le long des 2700 kilomètres de trajet du train qui ramena la dépouille présidentielle de Washington à sa ville natale, dans l’Illinois.
Le major Rathbone, gravement blessé par Booth, se remit de ses blessures et épousa Clara Harris. Il fit une belle carrière et venait d’être nommé consul en Allemagne quand il fut saisi d’une crise de folie furieuse : il abattit la malheureuse Clara, décidément née sous le signe du chat noir, manqua de peu d’assassiner ses enfants, rata son suicide et finit ses jours dans un asile d’aliénés.
Le procès des huit conjurés encore en vie dura sept semaines. Tous furent déclarés coupables ; quatre d’entre eux furent pendus, dont une certaine Mary Surratt, qui reste comme la première femme exécutée aux Etats-Unis.