Va-nu-pieds de Normandie, Croquants du Quercy, Maillotins parisiens… La révolte fiscale relève de la plus pure tradition française, au point de fournir un ensemble de marqueurs suffisamment forts pour que les manifestants bretons de 2013 se réclament des Bonnets Rouges qui se soulevèrent en Bretagne en 1675. Aujourd’hui comme hier, on reproche au pouvoir central une pression fiscale qui ne tient aucun compte des particularités locales. Retour sur une révolte remise au goût du jour.
Pourquoi ça démarre ?
1675 : la France de Louis XIV est en guerre avec la Hollande depuis trois ans. Malheureusement pour les troupes royales, les inondations volontaires organisées par les Hollandais ont freiné la progression de l’armée. Pire, les navires hollandais menacent régulièrement les côtes de France en général et de Bretagne en particulier.
Pour financer cette guerre qui s’allonge plus que de raisons, Louis XIV impose alors la levée de nouvelles taxes un peu partout – quitte, dans le cas de la Bretagne, à s’asseoir sur certaines finesses juridiques particulières, mal vécues par les tenants des libertés bretonnes. Dans une région en pleine cagade économique, contraindre la population à payer plus cher le tabac à chiquer, les produits en étain ou le « papier timbré » (les pièces officielles obligatoirement utilisées pour les actes civils) est mal vécu. Et la Bretagne redoute surtout de se voir à terme imposer l’impôt sur le sel dont elle était encore exempte, la fameuse gabelle.
Les premières « émotions » populaires commencent d’ailleurs, à Nantes et à Rennes, aux cris de « Vive le roi sans la gabelle ! »… On défonce des boutiques, on renverse culs par-dessus têtes quelques officiels et on prend même en otage un évêque. Le gouverneur de Bretagne, lui, y gagne le sympathique surnom de Gros Cochon – alors que ses premières réactions sont remarquablement modérées pour l’époque. Ça changera.
« Il n’y a, Monseigneur, nulle sûreté par la campagne »
Les bonnets rouges auxquels les manifestants d’aujourd’hui font référence n’étaient… pas rouges. Ou pas partout, plus exactement : si les émeutiers du centre de la Bretagne portent effectivement du rouge, ceux du pays Bigouden, dans le sud-ouest du Finistère actuel, portent un bonnet bleu.
Bleu bonnet ou bonnet rouge, le fait est qu’on passe vite d’une émeute d’abord urbaine à un soulèvement plus général. Le tocsin sonne dans les campagnes autour de Saint-Malo, Lamballe, Guingamp… les paysans se rassemblent, menés en grande partie par des femmes d’ailleurs. On s’attaque aux représentants de l’Etat royal : en juin 1675, des paysans armés s’en prennent au lieutenant du roi venu maintenir l’ordre. En juillet, le fermier (le collecter d’impôts) de Carhaix voit ses bureaux ravagés et sa maison incendiée. Lui-même s’en sort in extremis.
Des représentants du roi, le mouvement s’étend aux seigneurs locaux. Louvois, ministre des armées, reçoit des rapports angoissés : "Il n'y a, Monseigneur, nulle sûreté par la campagne (…) Il est certain que la noblesse a traités fort durement leurs paysans. Leur misère est si grande que l’on doit beaucoup appréhender les suites de leur rage et de leur brutalité. (…) Ils ont rendus à quelques-uns les coups de bâtons qu’ils en avaient reçus. Ils ont exercé envers cinq ou six de grandes barbaries."
Le même courrier en dit bien davantage : au-delà de la seule pression fiscale, c’est aussi l’ordre seigneurial et les corvées qui l’accompagnent qui se voit contesté, plus de cent ans avant la Révolution : « La misère les a provoqué à s’armer autant que les exactions de leurs seigneurs et les mauvais traitements qu’ils en avaient reçu, tant par l’argent qu’ils en avaient tiré que par le travail qu’ils leur avaient fait faire continuellement. »
Les craintes des envoyés de Louvois ne sont pas sans fondements : le 11 juillet 1675, près de 6000 insurgés emmenés par un … notaire, Sébastien le Balp, prennent et brûlent le château d’un seigneur, Toussaint de Trévigy, connu pour sa dureté. Après les châteaux, les villes : Carhaix et Pontivy sont ravagées par des centaines de Bonnets Rouges.
Cette fois, le pouvoir doit réagir. Il va le faire avec son habituelle finesse.
Un procès à un cadavre
La réponse royale vient presque à contretemps, d’ailleurs : début septembre, quand les premières troupes royales débarquent, Sébastien Le Balp a été tué d’un coup d’épée par un de ses prisonniers, un marquis. Privé de leur chef, les 30 000 hommes qui se concentraient à Poullaouen s’étaient déjà dispersés.
La mort et l'enterrement du meneur Sébastien Le Balp ne suffisent pas à laver l’affront fait au roi. Son corps est exhumé et… on fait un procès au cadavre, traîné ensuite sur une claie, rompu et exposé sur une roue. Il est déjà bien mort trois ou quatre fois quand on le décapite pour finir…
Les procès se multiplient et les condamnations tombent, sans appel possible : les galères dans le meilleur des cas, la corde pour les autres. Un peu partout, on pend sans plus de cérémonies – 14 d’un coup et au même chêne, à Combrit. Le fameux gouverneur Gros Cochon y va de sa petite phrase : « les arbres commencent à avoir le poids qu'on leur donne ».
Les représailles du roi ne s’arrêtent pas aux hommes. 10 000 dragons stationnent dans le pays, ruinent la province et se comportent comme en pays ennemi. Plusieurs clochers du pays bigouden qui avaient sonné le tocsin de la révolte sont abattus et leurs cloches sont fondues. On rase un faubourg entier de Rennes et le Parlement de Bretagne est déménagé à Vannes, où il restera 15 ans.
Les symboles sont ambigus... Si la révolte des Bonnets Rouges incarne bel et bien une forme de révolte contre la pression fiscale du pouvoir central, ceux qui y font référence aujourd’hui ne peuvent ignorer que le mouvement fut un échec - et la Bretagne le paya cher. Elle vit son Parlement mis au pas et fut soumise à un Intendant royal dès 1676. Et en 1679, la Bretagne entière était ruinée par les frais d’occupation des troupes qui restent prudemment stationnées dans le pays.