L’élection de Xavier Darcos à l’Académie française soulève son lot habituel de commentaires plus ou moins sarcastiques. L’élection du 729e académicien de France n’en est pas moins l’occasion de revenir sur quelques détails de l’histoire de la plus ancienne des cinq Académies de l'hexagone. Au fait, il reste trois places vacantes, n’hésitez pas à faire acte de candidature.
1634 : Richelieu crée les 40 fauteuils des « Académistes »
Après avoir appris en 1633 qu’une sorte de club des beaux esprits se réunissait régulièrement à Paris, le Cardinal de Richelieu souhaita lui apporter sa protection – comprendre son contrôle. Ainsi naquit l’Académie française, par décret du roi, en 1634. Les règles alors établies ne changèrent plus : 40 sièges, attribués sans considération de rang, de richesse ou de statut, sur le seul critère du talent. Enfin en principe.
Huit dictionnaires et demi en 379 ans
Dès sa fondation, l’Académie eut pour première mission d’établir LE dictionnaire de référence de la langue française. Ça prendra un peu de temps, puisque le premier d’entre eux ne sera publié que soixante ans plus tard, en 1694. Il compte 18 000 mots. Les angoissés de la sémantique durent en prendre leur parti en attendant : dans l’intervalle, Louis XIV avait tout simplement… interdit l’édition d’autres dictionnaires. La noble assemblée a attaqué sa 9e édition en 1986, voici 27 ans. Le dernier tome publié en 2011 commençait par le mot Maquereau et se terminait par Quotité. Au moins ont-ils ont supprimé le mot Pignochage (n. m. Action de pignocher.) sans hésiter une seule seconde.
L’académicien le plus jeune avait 16 ans
Le record du plus jeune académicien ne devrait pas être battu avant longtemps, et ce ne sera par Xavier Darcos : Armand du Cambout, Duc de Coislin, intégra l’Académie à 16 ans – qu’on ne me demande pas en vertu de quoi, on serait bien en peine de trouver une raison valable à cette élection très politique. Le brave Armand n’écrivit probablement pas une ligne valable au cours d’une vie consacrée à la carrière des armes, mais n’en détient pas moins un record de longévité : entré en 1652 à l’Académie et cadet de l’assemblée, il la quitta les pieds devant… 50 ans plus tard, en 1702.
Immortel, une notion relative
50 ans, c’est bien plus que le malheureux mois dont profita le malheureux Colardeau, un poète qui n’eut pas même le temps de prononcer son discours de réception : il mourut à 43 ans, 35 jours après son élection, en 1776. Une immortalité qui ne dure qu’un mois, c’est court.
A un mètre près
Les Immortels sont abrités depuis 1688 sous le dôme de l’Institut de France, dont ils forment la première Académie (sur cinq). Pour la petite histoire, le bâtiment culmine à 44 mètres, très exactement un de moins que le Louvre. Hors de question qu’un bâtiment parisien puisse dépasser le cœur historique du pouvoir royal, même si celui-ci s’était déjà déplacé à Versailles…
1801 : ce sera vert
Le fameux habit vert porté par les Académiciens n’est pas d’origine : c’est un décret du Consulat qui en définit le détail, purement masculin d’ailleurs : habit, gilet ou veste, culotte ou pantalon noirs, ornés de broderies en feuilles d’olivier en soie vert foncé, chapeau « à la française » (un bicorne). Pourquoi le vert ? Parce qu'aucune autre couleur ne convient : le rouge est trop violent, le blanc trop royal, le violet trop ecclésiastique, l'orange trop vif, le jaune fait cocu... Ce sera donc un vert discret et plutôt sombre. Sur cette base, un Académicien se fait tailler son propre costume par le couturier de son choix et à ses frais. L’épée, en revanche, lui est traditionnellement offerte par ses confrères. Beaucoup de dorures. Beaucoup d’allégories. Beaucoup de symboles.
1980 : Marguerite Yourcenar, première Immortelle
Les femmes sont plus libres, question costume, et pour cause : en 1801, la simple idée d’en accueillir une aurait fait frémir ces messieurs… L’Académie reste au demeurant l’une des institutions qui resta la plus longtemps fermée aux femmes. La première fut carrément jugée non recevable, la deuxième candidate récolta… zéro voix, etc. C’est Marguerite Yourcenar qui franchira la première les portes de l’Institut de France après une élection au 1er tour – chose rare. Sept autres Immortelles ont depuis rejoint l’auteur des Mémoires d’Hadrien, dont l’actuelle Secrétaire perpétuelle, Mme Hélène Carrère d’Encausse.
D’illustres visiteurs, dont un futur taulard
En revanche, le premier chef d’Etat à être reçu en séance privée à l’Assemblée fut une femme : la reine Christine de Suède, en 1658. Depuis, quelques rares chefs d’Etat ont eu ce privilège : les tsars Pierre Ier ou Nicolas II, le premier ministre canadien Mulroney… ça ne porte pas chance pour autant : Nicolas II finit exécuté et l’un des derniers visiteurs, l’argentin Carlos Menem, vient de prendre 7 ans de tôle pour trafic d’armes.
Le fauteuil le plus prestigieux n’existe pas
Par une forme d’ironie particulièrement cruelle, l’Académie censée défendre la langue de Molière paya bien mal ce dernier : l’auteur de Tartuffe n’intégra jamais l’Académie… Il est au demeurant loin d’être le seul auteur français à avoir raté le coche, alors que figure dans la longue liste des Académiciens une tripotée d’illustres inconnus. Edmond Rostand s’en amuse d’ailleurs dans un des premiers vers de Cyrano (« Tous ces noms dont pas un ne mourra, que c’est beau ! »). Ironie toujours : lui-même fera partie du club à partir de 1901, à 33 ans à peine.
Toujours est-il qu’est né avec le temps le concept parfaitement informel de 41ème fauteuil, celui qu’occupent tous les auteurs majeurs restés à la porte de l’Académie : Descartes, Rousseau, Pascal, Beaumarchais, Baudelaire, Stendhal, Flaubert, Proust ou Zola… Ne cherchez pas : aucun des auteurs sur les textes desquels les candidats au bac de français transpirent en ce moment ne figure dans cette longue liste. Ou presque.