Que Tsonga passe trois sets à Federer et voilà que tout le monde ne rêve plus que d’une chose : voir un Français gagner à nouveau Roland Garros, trente ans après Noah et treize après Mary Pierce. Un cercle fermé : depuis 1928, dix Français seulement, cinq hommes et cinq femmes, ont inscrit leur nom au palmarès des internationaux de France. Certains d’entre eux ne sont pas uniquement illustrés sur les cours, d’ailleurs.
René Lacoste n’a pas inventé que des chemises
Trois fois vainqueur à Paris, le « Crocodile » dut arrêter sa carrière à 24 ans, en pleine gloire, pour une question de santé. Au-delà des titres que le tennis français lui doit, c’est tous les tennismen qui lui doivent beaucoup. En plus de sa résistance légendaire en fond de court, Lacoste était un bidouilleur né et un inventeur de première classe, bien au-delà des seules chemises à manche courte frappées du crocodile – une révolution qui libéra les gestes de joueurs jusque-là coincés dans des chemises de ville classiques, à manches longues. Et les premiers vêtements dont la marque figurait à l’extérieur…
Son inventivité ne s’est pourtant pas limitée au textile. Pour pouvoir s’entraîner seul, René Lacoste a inventé dans les années 20 la première machine à lancer des balles. Si la machine ressemble plus ou moins à un gros fusil à patate dessiné par Franquin, il n’en reste pas moins qu’elle fonctionnait parfaitement.
Lacoste a surtout inventé en 1963 le cadre en acier qui révolutionna la forme et les performances des raquettes de tennis : arrondie, légère, maniable, précise, habillée de boyaux synthétiques, ses raquettes ne tardèrent pas à expédier au musée les vieux modèles en bois chers à Bjön Borg. Au lieu de frapper dans la petite balle jaune à grands coups de troncs d’arbre, les joueurs purent commencer à frapper plus vite, plus loin et plus fort. D’où l’utilité du petit bitoniau placé sur le tamis pour amortir les vibrations. Ça tombe bien, c’est aussi Lacoste qui l’inventa au passage.
Suzanne Lenglen a posé un lapin à la Reine d’Angleterre
Sacré carafon que celui de Suzanne Langlen, première grande star internationale du tennis féminin : on ne gagne pas six fois Roland-Garros et six fois Wimbledon en se laissant marcher sur les pieds, y compris par les partenaires masculins avec qui Suzanne avait l’habitude de s’entraîner.
Suzanne sera la première à raccourcir la longueur de ses jupes pour pouvoir courir un peu plus vite qu’avec les modèles précédents, aussi pratiques que des robes de mariées. On pardonne tout aux vainqueurs (241 tournois tout de même), y compris d’adopter des tenues particulièrement scandaleuses sur le court : à peine 90 cm de tissu depuis la taille. Pour un peu, on en viendrait presque à deviner la forme de ses chevilles.
La sulfureuse Suzanne va pourtant pousser le bouchon un peu loin à Wimbledon où elle a le culot, en 1926, de refuser de jouer deux matchs de suite, l’un en simple et l’autre en double. Les organisateurs menacent de l’exclure, la Française se braque, tout le monde boude – y compris la Reine. La Queen Mary, présente en tribune, is not amused et ne comprend pas que Mademoiselle Lenglen puisse avoir l’invraisemblable culot de ne pas jouer en sa royale présence. Suzanne tient bon et obtient de jouer ses matchs plus tard. Hélas, le mal est fait. Le public l’accueille par un silence glacial et la Reine n’est pas là.
Au lieu de faire amende honorable, Suzanne sort de ses gonds et… quitte le tournoi. Bravo Suzanne.
Jean Borotra s’est échappé d’un château nazi déguisé en femme
Les 5 et 6 mai 1945 s’est déroulée une drôle d’histoire dans le Tyrol autrichien. S’y trouvait et s’y trouve encore un authentique château-fort médiéval, alors transformé par les Nazis en prison haut de gamme pour hauts dignitaires français. En 1945, on y compte une quinzaine de personnalités dont le général Weygand, Paul Reynaud, Daladier et… la sœur du Général de Gaulle. Ah oui : et Jean Borotra, double vainqueur de Roland-Garros et ancien ministre de Pétain converti à la Résistance en 42. Arrêté par la Gestapo, il moisit depuis avec ses compagnons au beau milieu du Tyrol quand quelques soldats américains se présentent au pont-levis, avec un char pour faire crédible. Le commandant allemand du château Itter, convaincu de la chute imminente du régime nazi, se rend sans conditions au jeune officier yankee.
Ce qu’apprécient moyennement des troupes SS abandonnées à leur sort dans la région, des jusqu’au-boutistes comme le Reich moribond peut en connaître. Bien équipées, ces troupes… attaquent le château détruisent le char américain et commencent à pilonner la forteresse du 13ème siècle. L’histoire devient surréaliste : débordé par le nombre, le capitaine américain, Jack Lee, libère ses prisonniers allemands et leur confie des armes. Les assiégés tiennent ainsi plusieurs heures – le commandant allemand mourra au cours de ce seul et unique cas dans la Seconde Guerre mondiale où l’on vit des GI américains se battre aux côtés de soldats allemands contre des troupes SS d’élite.
Les anciens prisonniers français sont mis à contribution : pendant que Daladier court comme un lapin de 61 ans au milieu des obus pour apporter des caisses de munition aux combattants, Borotra s’impatiente. A sa demande, Jack Lee accepte de lui confier une mission : s’exfiltrer du château, passer entre les lignes SS, trouver de toute urgence comment joindre le reste de l’armée américaine et la guider jusqu’au village qui entoure le château. Une paille.
Ce que fait Borotra, qui trouve le moyen de sortir en douce, déguisé en paysanne autrichienne. Quelques heures plus tard, il met la main sur un éclaireur américain dont on gage qu’il dut être quelque peu surpris. A moment où les SS s’apprêtent à faire sauter l’entrée principale du château d’Itter, l’armée guidée par Borotra leur tombe dessus. Happy end pour cette anecdote digne d’un film de Tarentino et pourtant tout ce qu’il y a d’authentique…
Simonne Mathieu a défilé sur les Champs-Elysées avec de Gaulle en 44
Double vainqueur du tableau féminin, deuxième Française la plus titrée derrière Lenglen, Simonne Mathieu a laissé son nom à la coupe remise aux gagnantes de Roland Garros mais souffre de l’aura de son aînée. Comme elle pourtant, elle n’était pas du genre à garder sa langue dans sa poche ou à temporiser dans les cas graves.
En 1939, Simonne Mathieu dispute un tournoi aux Etats-Unis quand la guerre commence. Elle décide aussitôt de rentrer en France. Une escale l’arrête à Londres : loin de ses deux enfants et de son mari, elle choisit d’y rester. Conductrice et traductrice dans l’armée anglaise, la jeune femme commence une nouvelle vie à 31 ans. Elle fait partie des toutes premières femmes à rejoindre le général de Gaulle, et pour cause : après tout, elle était à Londres avant lui….
Relativement réticent à voir des femmes se mêler de combattre, celui-ci va pourtant lui confier le soin de créer et de diriger le Corps féminin des Volontaires Françaises ». Et c’est sous l’autorité de la championne en titre de Roland-Garros que les 26 premières femmes résistantes de Londres sont recrutées et formées. Elles sont vite une centaine, âgées de 18 à 50 ans, venues de tous les milieux. Les femmes formées par le Capitaine Simonne Matthieu sont traductrices, interprètes, secrétaires, ambulancières.
On ne les prépare pas au combat, un truc encore réservé aux hommes, pense-t-on. La bombe qui éclate le 18 avril 1941 sur leur caserne n’est pas du même avis. Peu misogyne, elle tue l’une des volontaires et en blesse durement dix autres. Sur place, Simonne est exemplaire de courage et de compétence.
Son franc-parler dérange, pourtant. On la transfère au service du chiffre – l’espionnage. Elle y assurera un travail remarqué, assez pour que de Gaulle la fasse défiler à ses côtés à Alger en 1943, et sur les Champs-Elysées, un certain 26 août 1944. Un jour où on ne distingue pas beaucoup de femmes dans les premiers rangs. La reconnaissance du rôle joué par Simonne et ses sœurs d’arme ne vint que bien plus tard.