Bien que personne ne semble réellement en mesure de déterminer qui les a utilisées, l’usage d’armes chimiques en Syrie semble bel et bien établi. Ce qui n’est jamais que le retour d’une tradition locale, si on peut dire : la première attaque chimique de l’histoire archéologiquement établie eut déjà lieu en Syrie, il y a…18 siècles.
Vingt squelettes dans un tunnel
En 1933, l’archéologue français Robert du Mesnil du Buisson fouille une zone de la forteresse de Doura-Europos, sur l’Euphrate, à l’est de l’actuelle Syrie. Occupé par les troupes romaines, le site a été assiégé à plusieurs reprises par les Perses et du Mesnil s'intéresse en particulier à la zone des remparts. Au cours de ses travaux, il se lance dans l'excavation de plusieurs tunnels. Un beau matin - on espère qu'il avait pris un solide petit déjeuner - il tombe sur… 19 squelettes de légionnaires. Toute une escouade entassée dans un boyau particulièrement obscur et étroit où l’on ne peut progresser qu’accroupi ou en rampant. Du Mesnil trouve même un vingtième corps à l’autre extrémité du tunnel. Cette fois, c'est celui d’un soldat perse retrouvé les bras serrés autour de sa propre armure, comme s’il avait désespérément cherché à l’arracher avant de mourir.
Cold case à Doura-Europos
De toute évidence, les 19 soldats sont morts en pleine panique et en tentant d’échapper à quelque chose. Mais à quoi ? Leurs os ne portent aucune trace de blessure visible et un combat rapproché semble plus qu’improbable dans un espace où il est impossible de se tenir debout ou même courbé. Alors ? Du Mesnil ne peut que s’avouer vaincu. Longtemps, personne ne saura de quoi sont morts les 20 soldats de Doura Europos. La réponse est venue récemment des travaux d’un archéologue anglais dont la thèse est hautement probable. En travaillant en 2009 sur les relevés des années 30, Simon James remarque deux choses. En en découvrant les corps en 1933, les chercheurs français ont été surpris par les derniers relents d’une odeur très désagréable – rien à voir avec celle de la décomposition, achevée depuis lurette. Plutôt une odeur de brûlé. James relève également la présence de cristaux d’hydrocarbures naturels sur les parois du tunnel, du bitume en l’occurrence – sans compter des traces de soufre. De quoi reconstituer une scène qu’on associe plutôt aux tranchées de 14-18 qu’aux guerres antiques.
Du soufre sur les murs
Il y a 1757 ans, Doura-Europos était une fois de plus assiégée par les troupes perses, bien décidées à reconquérir une province romaine particulièrement exposée. Pour ouvrir une brèche dans les murs de la forteresse, des sapeurs de l’armée persane ont entrepris de creuser un tunnel sous les remparts, en partant d’une tombe située à 40 mètres de là, à l’extérieur de la ville. Le but ? Arriver sous les fondations d’une des tours de défense pour en provoquer l’effondrement. Manifestement, les Romains ont pris conscience de la menace. Ils se sont alors à leur tour mis à creuser plusieurs contremines, dans l’espoir de tomber sur le tunnel perse. Drôle d’ambiance sous terre : chacun des deux groupes a une conscience aigüe des efforts de l’autre, grâce au son sourd des coups de pioches. A ce jeu du chat et de la souris, les Perses vont se montrer plus rapides, à en croire Simon James.
Plutôt que d’attendre une confrontation directe, les soldats perses ont décidé de piéger les soldats romains. Après avoir ouvert un passage vers le tunnel romain qui les surplombait, ils ont probablement allumé un feu et orientée la fumée dans la bonne direction, peut-être à l’aide d’un soufflet. A en juger par les traces retrouvées sur place, ils ont pris soin d’ajouter du soufre et du bitume au combustible. Un pari risqué – en témoigne le soldat perse retrouvé sur le site, qui y est resté après avoir respiré au mauvais moment.
A quelques mètres, les premiers soldats Romains se retrouvent face à un mur de gaz toxique qui les aveugle et les étouffe. Au contact de leurs poumons humides, le gaz se transforme en acide sulfurique. En quelques instants, les hommes placés à l’arrière de la file indienne voient le feu prendre sur les bords du tunnel, la fumée arrive vers eux. Pris au piège, paniqués et désorientés, les hommes placés à l’arrière de la file voient leurs camarades se retourner en agonisant, les poumons brûlés, cherchant frénétiquement à rebrousser chemin. Une mort incroyablement douloureuse les frappe à leur tour. La première attaque chimique de l’histoire est terminée en quelques minutes.