Apostrophes parfois limites, noms d’oiseaux et débuts de bagarre : le moins qu’on puisse dire, c’est que le débat sur le mariage gay a une fois de plus démontré que le débat politique peut rapidement virer à la foire d’empoigne. D’aimables discussions pourtant, à en juger par d'autres prises de becs qui auraient pu connaitre des des fins plus graves. Retour sur un temps où quelques députés célèbres n'hésitaient pas à se prendre pour D'Artagnan.
Surtout, ne pas traiter un député « d’abominable cochon »
En 1848, le député Pierre-Joseph Proudhon traite régulièrement de tous les noms plusieurs de ses collègues par voie de presse. Excédé, l’un d’entre eux, Félix Pyat le traite alors d'« abominable cochon » en le croisant au beau milieu de l’Assemblée nationale. Proudhon lui ayant aussitôt expédié son poing dans la figure, Félix Pyat lui envoie ses témoins. Proudhon n’avait pas tellement envie de céder à ce qu’il qualifia de « comédie ridicule », mais la pression sociale était telle qu’il ne put refuser, sous peine de passer pour un lâche. Deux balles qui ne blessèrent personne furent échangées à vingt pas, avant que les deux hommes ne se serrent la main.
Surtout, ne pas énerver Clemenceau
On ne dresse plus le portrait du Tigre, de sa faconde, de sa moustache et de sa manière bourrue et parfois brutale de mener ses grands combats. Et gare à celui qui s'attaquait à son honneur : Clemenceau avait la gâchette facile, au point d’en venir plusieurs fois à se battre en duel avec ses adversaires politiques.
Douze fois.
Pour son premier duel, le Tigre logea une balle dans la cuisse d’un Général, ce qui lui valut quinze jours de prison. En décembre 1888, dans une atmosphère détestable, Clemenceau se juge insulté par un député d’extrême-gauche, Auguste Maurel : le duel aura lieu à l’épée et à seize heures, quelques jours plus tard. Maurel fera partie des rares à s’en sortir avec les honneurs, blessant même légèrement Clemenceau à l’épaule.
En 1892, c’est avec Paul Déroulède que ça dérape : le député l’a accusé d’être un corrompu de première, qui plus est financé par des Juifs que ce tribun d’extrême-droite notoire a en horreur. A 30 pas l’un de l’autres, les deux hommes tirent trois balles se croisent, – les six balles se perdent dans la nature. Excellent tireur, Clemenceau jure ses grands dieux qu’on a saboté les revolvers. Il demandera en vain un nouveau duel à Déroulède qui se gardera bien de l’accepter.
Last but not least, Clemenceau manqua trouer le front d’un jeune homme qui finira Président de la République – et fou : Paul Deschanel. Le futur Président de la République l’avait insulté en séance en juillet 1894, qui plus est en son absence : Clemenceau publie une tribune qui commence par « Un jeune drôle s’est permis de baver sur moi à la Chambre… » avant de finir en le traitant de lâche et de menteur. Duel donc. Hélas pour le jeune Deschanel, son adversaire n’est pas plus maladroit à l’épée qu’au revolver. Constatant que Deschanel recule et recule encore, refusant le contact des lames, Clemenceau lui jette avec mépris « Vous nous quittez, Monsieur ? ». Fouetté, Deschanel se reprend – dix secondes seulement : le Tigre lui découpe littéralement le front et la moitié d’une paupière. C’est un Deschanel blafard qui demande la fin du combat... A l’occasion des présidentielles de 1920, il prendra sa revanche en battant Clemenceau dans un autre duel, cette fois dans les urnes.
Surtout ne pas croire que le duel n’existait plus en 1967
On pourrait croire que passées les années 20, les mœurs parlementaires se firent plus douce – oui et non…En 1967, Gaston Deferre, alors président du groupe socialiste, lance à un député du camp opposé un vigoureux « Mais taisez-vous donc, abruti ! ». « L’abruti » en question, René Ribière, apprécie moyennement et exige dans la salle des Quatre-Colonnes des excuses publiques que lui refuse le célèbre député-maire de Marseille. Ribière lui adresse alors une invitation formelle à croiser le fer.
Le duel se déroule quelques jours plus tard dans une résidence privée, à Neuilly, la veille du mariage d’un René Ribière qui n’en mène pas large : il n’a jamais tenu une épée de sa vie, contrairement à Deferre dont le nom même est déjà tout un programme. Non seulement le Marseillais est un escrimeur chevronné, mais l’ancien résistant a une certaine expérience du duel pour s’être déjà battu en 1947, au pistolet cette fois. Les épées ne sont pas limées : après avoir pris un malin plaisir à orienter sa lame vers une zone de l’anatomie de Ribière particulièrement essentielle à la réussite d’un mariage, Deferre fouette deux fois l’avant-bras de son adversaire qui décide que son honneur est largement lavé. Ce qui suscitera une légère ironie chez les journalistes, le combat ayant été filmé… Fin du dernier duel français en date.
Rappelons pour finir que nos députés font figure d’innocentes rosières à côté d’Andrew Jackson. Le septième Président des États-Unis logea en 1806 une balle dans la tête d’un journaliste, un certain Dickinson qui l’avait diffamé dans son journal. Son tir est d'une précision d’autant plus remarquable que ce dernier venait de lui tirer une balle en pleine poitrine - si près du cœur qu'on ne pourra jamais la lui retirer.