Robert de Sorbon et Xavier Niel, même combat ?

L’initiative de Xavier Niel, bien décidé à imaginer un nouveau modèle éducatif en plein Paris, n’est que la énième tentative en 8 ou 10 siècles destinée à permettre aux meilleurs étudiants de s’affranchir des soucis matériels pour penser, chercher et innover l’esprit libre. Au milieu du 12ème siècle déjà, un certain Robert de Sorbon s’était mis en tête de venir en aide aux « pauvres étudiants ». Avec un certain succès, sa chère Sorbonne étant appelée à devenir pour quelques siècles  l’un des temples du savoir occidental.

Naissance de l’Université

Il y a toujours eu des écoles, à Paris comme ailleurs – écoles au sens de lieux d’enseignement  supérieur. La plupart d’entre elles sont tenues et organisées par l’Église, les évêques ayant autorité sur les étudiants comme sur les maîtres. Depuis le début du 12ème siècle pourtant, les grandes villes ont vu apparaitre des sortes de communauté de plus en plus allergiques à la mainmise des évêques. A Paris, ils ont déjà fui la rive droite pour se réfugier sur la rive gauche autour de la montagne Sainte-Geneviève, littéralement truffée d’écoles plus ou moins réputées. On y parle latin dans les rues : le quartier y gagnera son nom.

L’Universitas est en train de naître, d’évoluer, d’imaginer son fonctionnement. En une cinquantaine d’années à peine, bacheliers et docteurs obtiendront du pouvoir royal puis du pape la reconnaissance de leur communauté et – surtout – la garantie de leur indépendance.

Inutile de dire que tout ce beau monde est pour l’heure exclusivement masculin… A Paris, cette corporation forme un groupe agité, insolent et subversif parfois – la chienlit, dirait l’autre. Elle représente surtout une masse considérable de matière grise qui irrigue toutes les couches de la société, là où le pouvoir économique, religieux ou public recherche des têtes bien pleines, farcies de médecine ou de comptabilité, de droit ou de théologie, de latin ou de rhétorique …Des rois aux bourgeois, des négociants aux ecclésiastiques, tout le monde s’arrache les compétences des meilleurs éléments formés à Paris, à Bologne, à Montpellier, à Oxford, à Padoue…

De bien pauvres étudiants

Reste que le fonds du problème est sensiblement le même qu’aujourd’hui : étudier dure longtemps et coûte cher, à Paris plus qu’ailleurs. Des années durant, il faut se loger, se nourrir, s’habiller, boire quelques canons, courir les filles et trouver dans tout ça le temps et les moyens de consulter les ouvrages nécessaires, aussi rares que chers – l’imprimerie se fera encore attendre quelques siècles ; en attendant, le moindre « livre » coûte un œil. Autrement dit, si quelques jeunes gens de bonne famille parviennent à survenir sans problèmes à leur besoins, la majorité des étudiants vivent dans des conditions franchement spartiates, contraints de donner ici ou là quelques cours, de se trouver un job étudiant, de mendier, voire de chouraver quelques bourses par ci par là, à en croire les sources de police.

Et Sorbon fonda sa « pauvre maison »

Robert Sorbon, lui-même ancien écolier désargenté,  s’agace de cette situation qui empêche les plus pauvres d’achever leur cursus , si doués qu’ils soient. Relativement aisé, Robert est un homme arrivé, aumônier et confesseur du roi. Et pas n’importe lequel : Saint Louis, dont il obtient l’autorisation et les moyens de créer un lieu consacré à l’accueil des étudiants, en 1253.  Aussitôt dit, aussitôt fait : Robert consacre ses propres deniers à la réfection d’une maison rue Coupe-Gueule, au nord de Sainte-Geneviève.  Blanche de Castille, Saint Louis et bien d’autres lui feront don plus tard de terrains ou d’autres maisons du quartier. Leurs loyers permettront de financer l’accueil de boursiers et de maîtres en morale et en théologie – la reine des disciplines, la plus prestigieuse et la plus prometteuse en termes de carrière.

Sa « pauvre maison » accueille vite ses premiers « pauvres étudiants » et ses « pauvres maîtres », tous clercs séculiers : autrement dit, des hommes d’église qui ne se destinent pas à la vie dans des monastères mais comptent bien rejoindre la société pour y vivre, s’y impliquer et faire carrière. Ils y trouvent des conditions matérielles d’étude exceptionnelles, une bibliothèque magnifiquement dotée, le gîte et le couvert. Simple pension d’abord, le collège qu’on appelle très vite la Sorbonne devient vite un lieu d’étude et d’enseignement gratuit. Élèves et maîtres hébergés dans le Collège échangent, discutent, se forment mutuellement.

Robert de Sorbon ne réserve pas son collège aux pauvres : sur la centaine de personnes qu’accueille son collège, 30 à peine n’ont pas un sou vaillant. Les autres s’acquittent chaque jour d’une somme de 5 sous et demi, le strict équivalent de ce qui est accordé aux boursiers. La nationalité importe peu, le statut social pas davantage : la Sorbonne est ouverte à tous, sur le seul critère de l’excellence.

Et ça marche : en quelques années, la Sorbonne deviendra une référence. Très vite, les avis de ses maîtres serviront à arbitrer les cas de conscience, les questions de morale, les querelles d’église ou d’États. Les boursiers, eux, sont sur la voie royale qui mènent aux postes les élevés.  En sortiront de sacrés personnages : une foule d’évêques et d’archevêques, le futur pape Clément VI -  et plus tard un certain Richelieu.

Mixité sociale, gratuité pour les plus pauvres, ouverture internationale, mécénat public et privé, exigence pédagogique, formation d’élites utiles au secteur public comme au secteur privé : le collège du bon Robert ressemble de près à l’école idéale d’aujourd’hui.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu