Lasagnes, raviolis et couscous aux dernières nouvelles : on n’en finit plus de retrouver du cheval au hasard des inspections. Au moins les consommateurs peuvent-ils relativiser : la viande de cheval n’a en soi rien de mauvais pour la santé. Et si l’idée même de traiter la plus belle conquête de l’homme comme le premier steak venu choque beaucoup d’entre nous, consolons-nous : certains de nos ancêtres ont dû avoir dans le gosier un arrière-goût bien pire encore, en 1387.
Les bonnes tourtes de la rue des Marmousets
Au cœur de l’île de la Cité, à Paris, part du côté nord de Notre-Dame une petite rue étroite qui oblique rapidement en direction de l’Hôtel-Dieu : la rue Chanoinesse, ancienne rue des Marmousets. En cette fin de 14ème siècle, le quartier est populaire et animé. La ruelle, comme toute l’île d’ailleurs, compte son lot d’auberges, de bouchers, de charcutiers, de pâtissiers… L’un d’eux, justement, fait fureur depuis quelques mois. Le brave homme a un tour de main exceptionnel, avec d’autant plus de mérite que craignant de se faire voler le secret de ses assaisonnements, il ne se fait aider que par un seul malheureux apprenti. On vient de tout Paris pour lui acheter ses gâteaux et ses tourtes : la pâte est une merveille, le hachis un délice et la farce… La farce est magnifique.
On n’est jamais trahi que par les chiens
Il y faut du courage, pourtant, et ses pâtés en croûte se méritent : le quartier est relativement mal famé à certaines heures. On y tue pour pas cher et d’ailleurs, certains des étudiants qui logent au chapitre de la cathédrale voisine ont récemment disparu. On suppose qu’ils ont fait de mauvaises rencontres avec quelque bande de voleurs ou de détrousseurs. Le dernier en date est un étudiant allemand dont le chien se traîne depuis comme une âme en peine dans le quartier.
Jusqu’au jour où il se fige devant l’échoppe qui jouxte celle du bon pâtissier – celle d’un barbier. Des jours et des nuits durant, voilà la pauvre bête qui gémit ou hurle à la mort, grattant le pas de la porte avec insistance. Intrigués, les agents dépêchés sur place entrent dans la boutique pour tomber nez à nez avec le barbier, passablement gêné pour justifier la présence à ses pieds du cadavre d’un jeune homme à la gorge fraîchement tranchée.
Relations de bon voisinage
Le barbier et son pâtissier de voisin avaient développé une relation commerciale fructueuse. Le barbier coupait le kiki de ses clients, choisissant les plus jeunes ou ceux dont la chair semblait la plus ferme. Il faisait alors basculer le corps par une trappe qui l’expédiait droit dans la cave commune aux deux boutiques – c’est ce qu’on appelle favoriser les circuits courts.
Les deux hommes se partageaient les vêtements et les bourses de leurs victimes. Ne restait à l’homme de l’art qu’à dépecer la victime du jour avant de mélanger les restes inutilisables aux carcasses des bestioles que son métier lui permettait de balancer aux ordures au grand jour, sans éveiller le moindre soupçon. Et à préparer avec soin toute cette bonne viande pour cuisiner ses excellents petits pâtés.
Le nombre de crimes commis et de tabous brisés par les deux complices n’étant pas racontable, ils furent proprement torturés, jugés et condamnés à mort : on les brûla vifs tous les deux dans une cage de fer, devant leurs échoppes. Ce qui est bien sévère : en définitive, il n'y avait là que tromperie, comme dans le cas de la viande de cheval, rien d'aussi grave qu'un risque pour la santé du consommateur... Le droit médiéval étant ce qu’il est, on rasa pourtant leurs deux maisons pour faire bonne mesure. Le curé du coin dut entendre de drôles d’histoires, en confessant les anciens amateurs des tourtes à la viande de la rue des Marmousets…
En remontant ce qui reste de celle-ci aujourd’hui, on tombe sur un parking réservé aux deux-roues des policiers d’un commissariat voisin : la pierre sur laquelle l’artisan découpait sa chair à pâté s’y trouve encore, paraît-il.