Les 115 cardinaux qui se réunissent en conclave à partir du mardi 12 mars auront la lourde responsabilité d’élire le 266e pape. Si l’envie leur prend de lever les yeux au ciel pour y chercher conseil, il leur faudra une grande force d’âme pour ne pas tomber en contemplation devant l’œuvre la plus célèbre de Michel-Ange : le plafond de la Sixtine, achevé voici un peu plus de 500 ans. Une œuvre à la drôle d’histoire.
1La Sixtine ou la guerre
Michel-Ange a passé sa vie à répéter inlassablement tout le mal qu’il pensait de la peinture, cet art secondaire à ses yeux. Sculpteur tant qu’on voudra, mais barbouilleur ? Certainement pas. Autant dire que la perspective de passer des années sur le dos à peindre un plafond depuis un échafaudage branlant à 15 mètres du sol ne rentrait pas dans les projets du jeune sculpteur déjà célèbre pour la Pietà et le David. D’ailleurs, le pape Jules II ne l’a pas convoqué à Rome pour peindre, mais pour tailler dans le marbre les quarante statues destinées à son futur tombeau. Las, de basses raisons financières le conduisent à annuler la commande. Furieux, Michel-Ange repart pour Florence avant de se faire rappeler sur un ton de plus en plus ferme par le pape qui finira par… menacer Florence d’une guerre. La mort dans l’âme, l’artiste se résout à rejoindre Rome, où Jules II lui colle aussitôt la Sixtine dans les pattes pour 15 000 ducats. Une fortune.
2Un peintre, quatre ans, 1 000 m², 340 personnages
Pour l’argent donc - et pour le salut de son âme quelque peu torturée -, Michel-Ange consacrera quatre ans à la fresque la plus célèbre du monde, peinte dans des conditions difficiles qu’il décrit lui-même.
Ma barbe pointe vers le ciel, je sens ma nuque
Sur mon dos, j’ai une poitrine de harpie,
Et la peinture qui dégouline sans cesse
Sur mon visage en fait un riche pavement
En mai 1508, il commence à peindre les 1000 mètres carrés du plafond de la Sixtine, à lui tout seul et sans croquis préparatoires. La chapelle est hermétiquement close, il ne recrute aucun assistant et claque la porte au nez du pape lui-même, sommé de présenter une demande en bonne et due forme pour pouvoir entrer dans la salle – consigne que, bien évidemment, le Saint Père appréciera peu et ne respectera jamais.
Aux défis propres à la technique de la fresque, qui ne laisse que quelques dizaines de minutes à l’artiste pour appliquer ses pigments, s’ajoutent deux difficultés sérieuses : Michel-Ange n’y connaît à peu près rien en matière de plâtre d’une part, le plafond est incurvé d’autre part. D’où de sérieuses distorsions de perspectives qu’il doit compenser… Il jurera plus tard avoir haï chaque minute de ces quatre années de sa vie.
3Harcèlement moral au Vatican
En bon patron abusif, Jules II le harcèle chaque jour ou presque, redoutant de mourir sans voir la fin d’un travail hors de prix, certes, mais qu'il paye quand ça lui chante. Un matin, pressé une fois de plus de dire quand le travail serait achevé, Michel-Ange, épuisé, répond « Quand je pourrai ! » sur un ton agacé. Le pape, fou de rage, le frappe à grands coups de canne en l’insultant…
Il faudra bien des câlineries cette fois pour que Michel-Ange, dont l’épuisement est à la hauteur de l’ego, ne reparte pas cette fois pour de bon en direction de Florence. Le versement immédiat de 500 ducats supplémentaires sera un plus indéniable sur la voie de la guérison.
Le 31 octobre 1512, enfin, Jules II peut inaugurer officiellement la chapelle. Il meurt quelques mois plus tard, en février 1513. Vingt-cinq ans plus tard, Michel-Ange reviendra dans la Sixtine pour y peindre contre le mur de l’autel son second chef-d’œuvre : Le Jugement Dernier.
4Un cerveau dans le plafond
De tous les panneaux de la Sixtine, le plus célèbre est sans doute la Création d’Adam, qui représente Dieu lui-même étendant le bras pour (presque) atteindre le doigt d’un Adam sortant de son sommeil. Le nombre de références, de parodies et d’hommages à cette scène est tout bonnement inouï – pensez à l’affiche d’ET…
Et pourtant, une drôle de référence s’y cache : regardez attentivement les contours de la forme constituée par le large manteau rouge qui flotte autour de l’image de Dieu et des chérubins qui l’accompagnent. Elle ne vous dit rien ? Eh oui : c’est une représentation stupéfiante de précision d’un cerveau humain. Ou du plan de Paris, certes. La première thèse reste la plus plausible.
Il est hautement probable que ce ne soit pas le fruit du hasard. Michel-Ange était passionné d’anatomie, toute son œuvre en témoigne. Au-delà, il était aussi un grand amateur de dissection, passe-temps relativement contesté pour un temps encore, au début du XVIe siècle… Compte tenu du mélange de haine et d’adoration qui le liait à Jules II, il ne serait guère étonnant que Michel-Ange ait un pris un malin plaisir à laisser une trace ironique de ce savoir interdit au cœur même de l’Eglise…