Les personnes autistes manquent-elles d'empathie ?

Il existe de nombreux lieux communs à propos de l'autisme. Par exemple, on entend souvent que les personnes autistes manqueraient d'empathie. Mais qu'en est-il vraiment ?

L'empathie, c'est quoi ?

L'empathie renverrait à la capacité de ressentir ce que ressent autrui, à adopter sa perspective pour comprendre son état et à répondre à ses émotions. L'empathie n'est pas un concept unitaire, elle regrouperait deux composantes : l'une "affective" (ou émotionnelle) et l'autre "cognitive". L'empathie affective permettrait de ressentir et de produire une réponse émotionnelle concordante face à l'état affectif d'une autre personne (par ex., prendre un air triste avant de s'adresser à un interlocuteur qui présente un faciès de tristesse). Quant à l'empathie cognitive, elle correspondrait à la capacité de comprendre l'état émotionnel d'autrui. Les processus affectifs de l'empathie feraient donc référence à des mécanismes automatiques de contagion émotionnelle, tandis que ses processus cognitifs feraient plus appel à des mécanismes de contrôle cognitif.

Les personnes autistes manquent-elles d'empathie ?

Il est vrai que les chercheurs ont postulé pendant des décennies que les personnes autistes manquaient d’empathie cognitive (voir par exemple les travaux à propos de la théorie de l’esprit ou de la théorie "empathisation-systémisation" de Baron-Cohen et ses collaborateurs). De plus, si on analyse les interactions qu’ont les personnes autistes avec les personnes non autistes, il est tentant de problématiser les comportements sociaux sous l’angle d’une déficience sociale qui serait située “à l’intérieur” du cerveau autiste*. Cependant, ces hypothèses ont été critiquées. Ainsi, les prétendus déficits en empathie cognitive chez les personnes autistes pourraient être expliqués autrement : on pourrait les attribuer par exemple à leurs capacités importantes d’empathie émotionnelle, ou au fait qu'elles ont besoin d'un temps de traitement de l’information relatif à l’empathie cognitive plus important, ou encore à une différence dans la façon dont elles expérimentent le monde par rapport aux personnes non autistes.

Des travaux récents font l’hypothèse que cette prétendue déficience sociale observée chez les personnes autistes ne serait en quelque sorte que la conséquence d’un biais méthodologique. Une étude a par exemple analysé des interactions entre des personnes autistes lors de sessions de jeux vidéo (Heasman & Gillespie, 2018). Les auteurs ont ainsi étudié les cadres sociaux des personnes autistes à part entière, c’est-à-dire sans les comparer à ceux des personnes non autistes. Ils se sont aperçus que les mécanismes propres à l'autisme utilisés par les participants pour interagir entre eux pouvaient au contraire faciliter les rapports sociaux, malgré des interactions qui paraissent incohérentes selon les normes neurotypiques.

Le "problème de double empathie"

Le chercheur autiste Damian Milton a proposé que l’incompréhension dans les rapports sociaux entre personnes autistes et non autistes ne serait pas à sens unique, mais relèverait d’un malentendu réciproque, un « problème de double empathie » (« double empathy problem », Milton, 2012). Selon cet auteur, même si les personnes autistes peuvent manquer de perspicacité à propos des perceptions et de la “culture” des personnes non autistes, il n’en demeure pas moins que ce manque de perspicacité concerne tout autant la personne non autiste face aux perceptions et à la “culture” des personnes autistes.

Pour conclure

Même si des différences neurologiques peuvent engendrer des différences observables de socialisation, il ne peut être justifié de parler de déficit social de l’autisme comparativement à une vision normative de la socialisation qui serait considérée comme idéale. Il s’agit là d’un point de vue disons ontologique de l’empathie. Sans compter qu'il n'y a pas vraiment de consensus autour de la définition du terme “empathie” au sein de la communauté scientifique en psychologie (voir par exemple les propositions du psychologue Paul Bloom). Enfin, soulignons que ce type d'idées reçues présente l'inconvénient d'impacter la façon dont la société conceptualise l’autisme, ce qui influence en retour la vie des personnes autistes.

* Les études s’intéressant à l’intersubjectivité se sont appuyées initialement sur des données concernant les interactions entre les personnes autistes et les personnes non autistes. Ces premiers travaux ont suggéré l’existence de processus impliqués dans les interactions sociales qui seraient dysfonctionnels chez les personnes autistes, tels que l’attention conjointe (« shared intentionality ») ou la compréhension des signaux sociaux non verbaux (« reciprocating non-verbal Cues »).

Références :

Bloom, P. (2017). Against Empathy: The Case for Rational Compassion. New York, NY: Random House.

Heasman, B., & Gillespie, A. (2018). Neurodivergent intersubjectivity: Distinctive features of how autistic people create shared understanding. Autism, 136236131878517. https://doi.org/10.1177/1362361318785172

Milton, D. E. M. (2012). On the ontological status of autism: the ‘double empathy problem.’ Disability & Society, 27(6), 883–887. https://doi.org/10.1080/09687599.2012.710008

Milton, D., Sasson, N. J., Sheppard, E. et Yergeau, M. (2018). An Expert Discussion on Autism and Empathy, DOI: 10.1089/aut.2018.29000.cjn