Suite et fin de « Police et comportements humains (1/2) »…
Ce post a été écrit à « 4 mains » par Chris, policier et auteur du blog « Police de caractère » et Jérôme, psychologue et auteur du blog « dans vos têtes ». Il se présente sous la forme de questions-réponses. L’objectif de ce billet est de mieux comprendre le métier de policier et l’image que le grand public se fait de la police en éclairant le lecteur sur les mécanismes de fonctionnement du comportement humain…
Les relations entre la population et la police : causes et conséquences (suite)
J. à C. : Le grand public ignore souvent les effets collatéraux du métier de policier sur la « santé mentale » des agents. Quels sont les chiffres (turn-over, burn-out, suicides, démission) ?
Je dois bien avouer que je suis incapable de répondre ; même si nous voyons effectivement des efforts de l'administration, avec les psychologues qui sont employés, et à disposition des agents, dans le cadre de problématiques différentes. Qu'elles soient personnelles ou professionnelles. Pourtant, je me dis que, plus qu'un volontariat pour aller les voir, il devrait y avoir régulièrement des entretiens, hors hiérarchie qui, justement, permettraient, comme je le disais plus haut, de garder le recul nécessaire. Et éviter d'arriver, justement, à la case "burn-out".
On sait, par contre, que le nombre de suicides, dans la police, tourne annuellement aux alentours de 50. En ce qui concerne les démissions, je ne dispose pas de chiffres. Simplement, je constate que de plus en plus de policiers souhaiteraient se tourner vers autre chose ; justement, parce qu'ils en ont « ras-le-bol ». Pour plein de raisons différentes, d'ailleurs. Après, entre vouloir et pouvoir, c'est souvent très compliqué. Une fois qu'un agent a fait 15 ans de police, que peut-il faire, une fois dans le privé ? Quelle reconversion est possible? Je note d'ailleurs l'existence, depuis quelques mois, d'un bureau "mobilité et carrières" au sein de la police nationale. C'est, me semble-t-il, un signe qu'il existe une demande.
C. à J. : D’un point de vue « psy », comment peut-on expliquer ces effets parfois dévastateurs du métier de policier sur les agents ?
L’apprentissage « par association » que j’évoquais plus haut a aussi malheureusement un impact sur les policiers :
- Du fait de son fonctionnement en tant qu’être humain et du fait du fonctionnement répressif de la société, la population apprend donc (malgré elle) a développer des réactions physiologiques « négatives » envers tout ce qui peut symboliser les forces de l’ordre.
- Ces réactions physiologiques ont pour conséquences la fuite, l’évitement, la condescendance, la critique, le mépris, etc. envers l’institution policière et donc envers les policiers.
- Ces comportements de « rejet » entrainent à leur tour chez le policier (qui est aussi un être humain !!) des réactions physiologiques de stress « désagréables ».
- Par « association », le policier apprend donc (malgré lui) à associer ces émotions « désagréables » à une partie de la population et ce qui la représente.
- A leur tour, ces réactions physiologiques ont donc pour conséquences la fuite, l’évitement, la condescendance, la critique, le mépris, etc. envers les populations.
- C’est ainsi que l’on peut finir par observer, dans les cas extrêmes, les fameuses « bavures » policières. Et la boucle est bouclée.
Mais cela ne veut pas dire que l’on ne peut rien faire pour changer les choses…
Des solutions pour améliorer ces relations entre la population et la police ?
J. à C. : Quelles initiatives ont été déjà expérimentées pour tenter d’améliorer les relations entre policiers et civils ? Existent-ils d’autres pratiques de ce type dans d’autres pays ?
L'exemple qui me vient à l'esprit reste la "police de proximité". L'idée générale était bien plus large, mais je pense que cela pouvait en être l'un des objectifs. Personnellement, l'idée me paraissait bonne, à l'époque, malheureusement, les moyens n'ont jamais été à la hauteur des ambitions et des objectifs. Au final, on se souvient de Nicolas Sarkozy arrivant au ministère de l'intérieur, en visite à Toulouse ; il avait alors harangué le Directeur local en expliquant que le métier de policier n'était pas de faire un match de foot avec les jeunes. Il n'avait, je crois, pas tout à fait tort; mais sa vision me parait un peu caricaturale et réductrice quant aux objectifs d'alors.
C. à J. : Et vous, avez-vous connaissance, justement, de ce qui se fait à l'étranger?
Nicolas Sarkozy connait bien mal les principes fondamentaux de nos comportements ! Certes les policiers ne sont pas là pour faire des matchs de foot, mais en jouant au foot avec les jeunes des quartiers, on améliore la relation jeunes / policiers, qu’on le veuille ou non ! Et une meilleure relation avec la police est un prérequis indispensable pour renforcer les comportements de respect envers la police.
Mais avec ce genre d’initiatives il est aussi très important d’évaluer les résultats et d’avoir des données probantes : si l’on observe des résultats positifs, on continue, sinon on arrête les frais. Or en France, on a tendance à mettre en place plusieurs initiatives en même temps, un peu à l’intuition, et au final on est incapable de savoir ce qui a fonctionné ou pas.
Pour répondre à votre question, je ne sais pas ce qui se fait dans les autres pays. Mais pour beaucoup de spécialistes en science de l’éducation, les solutions les plus efficaces sont celles qui se basent sur ces fameux principes de base qui régissent nos comportements. Sans rentrer dans les détails, un des moyens d’améliorer ces relations serait de réassocier l’institution policière à des réactions émotionnelles « positives ». Encore une fois, cet apprentissage ne se fera pas à coup de lois ou de communication ou de blablas : l’être humain apprend mieux avec des expériences concrètes !
Je me souviens, il y a une vingtaine d’années de cela, un département français avait expérimenté un contrôle original des automobilistes par les autorités : les automobilistes étaient arrêtés non pas pour être verbalisés, mais on contraire pour être félicités pour leur bonne conduite. Ce genre de piste me paraît intéressant à étudier.
Attention, je ne dis pas qu’il faut se passer du répressif ! Bien évidemment, l’humain apprend aussi grâce aux sanctions ! Ce que je dis, c’est que si l’institution policière était moins associée à des évènements « négatifs », alors on commencerait à observer dans nos sociétés, chez nos populations, une diminution du rejet de la police.
J. à C. : Dans votre blog « Police de caractère », vous avez pour objectif d’éclairer les lecteurs sur ce qu’est le métier de policier, d’en donner une image plus réaliste que ce que les médias nous renvoient. A partir de votre expérience de policier, auriez-vous d’autres idées pour tenter d’améliorer ces relations ?
Il me semble qu'avant tout, pour donner une bonne image de lui-même, le policier doit précisément se sentir bien. Et, on le note chaque année au détour d'articles de presses, d'études, qui parlent du fameux "malaise" des policiers. Difficile de parler pour tout le monde, mais je crois que nous sommes effectivement assez sensibles à l'opinion. C'est tout de même la base de notre métier que d'aider la population; et l'on a parfois l'impression que le compte n'y est pas. Je retiens une phrase d'un collègue que j'ai lue très récemment, et qui illustre pas mal l'état des choses actuel: lorsqu'un policier fait quelque chose de mal, on dit "ils" (parlent DES policiers); et lorsque l'action est bonne, on parle "du" policier (ou d'un service). Il faut un peu nuancer, mais c'est assez vrai, il me semble.
Après, nous avons eu à faire à des réactions très particulières au lendemain de Charlie ; les gens applaudissaient la police ; ça reste une image assez exceptionnelle. Alors, on a tendance à dire que, depuis, ça a bien changé. Mais je ne le crois pas ; ceux qui applaudissaient alors aiment toujours la police. Mais tout le monde n'était pas non plus dans les rangs, ce jour-là.
Après, tout ce « malaise » ne tourne pas non plus autour de la simple opinion publique ! Il intègre beaucoup de problématiques ; on peut citer
- la politique du chiffre (qui tend trop souvent à privilégier le quantitatif au qualitatif),
- le management, avec des positionnements bien trop axés sur le pouvoir du grade au détriment de la connaissance et l’expérience,
- la portion de plus en plus prégnante des tâches administratives,
- les difficultés d’avancement, avec un pyramidage bien souvent inadéquat, ou encore des difficultés liées au pouvoir d’achat,
- des outils inadaptés qui nous sont imposés.
Bref, les motifs sont nombreux, et mis bout à bout, tendent à en démotiver bon nombre.
Pourtant, il y a forcément des choses à faire. Y compris de notre côté. Peut-être serait-il nécessaire d’intégrer un minimum de psychologie, dans les formations initiales. Malheureusement, nous ne prenons pas ce chemin-là, puisque, au contraire, leur durée est réduite. Des efforts sont aussi probablement à faire du coté de nous-même, dans nos attitudes ! Et je me dis aussi que peut-être il y a un déficit de communication. Si la presse se gargarise bien souvent des faits-divers à base de « bavures » et, plus simplement, de mauvais comportements policiers, à nous, aussi (ou l’administration), de faire-savoir ce qui se fait de bien. Les choses qui fonctionnent. Bref une communication institutionnelle. Aujourd’hui, cette com n’est que trop l’apanage des syndicats qui, il faut le dire, sont trop ancrés dans la caricature.
Il faudrait aussi chercher du côté de l’innovation. Tenter des choses à petite échelle, et développer ce qui marche. A tous les niveaux.
Malheureusement, et j’en viens aux choses qui fâchent, pour cela, il faut des moyens ; et c’est clairement un déficit de tous les services ; qu’il s’agisse de matériels ou d’humains. Alors, pour ajouter des dépenses d’innovation… c’est pas gagné !