Pourquoi vous rongez-vous les ongles ?

Broo_am (Andy B)

Des chercheurs canadiens viennent de publier une étude sur les liens entre les comportements répétitifs centrés sur le corps (tels que se ronger les ongles) et certaines de nos émotions. Les résultats de cette recherche suggèrent notamment que le fait de se ronger les ongles serait lié à de l'insatisfaction...

Malgré les limites de cette étude, la presse en ligne n'a pas traîné pour en tirer des conclusions bien mal dégrossies. Exemples :

"Se ronger les ongles indique que vous êtes tout simplement PARFAIT" (RedBuzz)

"Si vous vous rongez les ongles cela prouve que vous êtes juste PARFAIT !" (aufeminin)

Ce type de raccourci est assez fréquent, c’est d’ailleurs l’inconvénient des études dites « corrélationnelles », c’est-à-dire qui mesurent le degré de dépendance entre deux variables (ici, « se ronger les ongles » et « l’insatisfaction »). Pour relativiser un peu ces résultats, essayons donc d'y voir plus clair sur ce fameux comportement qui consiste à "se ronger les ongles"...

Se ronger les ongles, c'est quoi ?

Si ce comportement est récurrent et que des tentatives répétées, mais infructueuses ont été essayées pour le diminuer, il peut alors être considéré comme un trouble de comportement répétitif centré sur le corps. Dans les classifications internationales, ce trouble fait partie de la grande famille des troubles obsessionnels compulsifs ou TOC (si l’on se réfère au DSM 5).

Environ la moitié des mineurs âgés entre 10 et 18 ans se rongent les ongles, et ce comportement persiste souvent à l'âge adulte. Information plus anecdotique, les femmes se rongent les ongles autant que les hommes, et l'on ne constate pas de préférences entre les 5 doigts.

Se ronger les ongles, quels risques ?

Bien que ce comportement n'entraîne pas spécifiquement de perturbations sociales ni de souffrance clinique significative, il peut dans certains cas sévères entraîner des infections de la peau ou des infections intestinales liées au fait de mettre régulièrement en contact les doigts et la bouche. On constate d'ailleurs que la "sanction" sanitaire ne change pas nos habitudes : la douleur ou l'infection ne nous empêche rarement de recommencer à nous ronger les ongles.

Se ronger les ongles, quelles causes ?

Anxiété, stress, solitude et inactivité sont souvent cités comme des causes de ce comportement. Mais ces tentatives d’explications sont inexactes (il n’y a pas de relation de cause à effet entre le fait de se ronger les ongles et la solitude par exemple). Ensuite, elles n’aident pas les personnes qui veulent arrêter de se ronger les ongles (« tu devrais te relaxer », ou « tu n’as qu’à t’occuper ! » n’ont jamais permis de changer des comportements à long terme).

Se ronger les ongles, quels traitements ?

Plutôt que de s’acharner sur des hypothèses explicatives, certains psychologues, beaucoup plus pragmatiques, posent le problème autrement. Ils stipulent que le fait de se ronger les ongles obéit aux mêmes principes que tous les autres comportements de n'importe quel être vivant. Un de ces principes est que l'on on ne peut éliminer un comportement sans qu'il lui soit substitué un comportement alternatif. C'est pour cela que les techniques visant à nous empêcher de nous ronger les ongles sont inefficaces (le vernis amer par exemple). Un deuxième principe est que pour changer des comportements, nous avons besoin d'"arranger" notre environnement. La fréquence d'un comportement est en effet modifiée par ses conséquences sur l'environnement. En modifiant les conséquences via l'environnement, on peut ainsi changer les comportements. Il ne suffit donc pas de faire appel à sa simple bonne volonté pour y arriver !

Le fait de se ronger les ongles est dans la plupart des cas un comportement qui n'a pas de médiation sociale (on peut se ronger les ongles, même seul). L'environnement social peut très bien empêcher la personne de se ronger les ongles (par des remarques par exemple), mais la personne à tout intérêt à trouver des stratégies qui l'aideront dans tous les cas où elle se retrouvera seule. Cette donnée est importante car cela oblige à mettre en place une procédure de self-management ou autogestion : les personnes s'administrent elles-mêmes des techniques de modification comportementale et enregistrent la progression de leur propre comportement.

Le fait de ne pas se ronger les ongles doit procurer à la personne une conséquence qui soit plus "valable" que le fait de manger ses ongles. Ce qui est valable pour une personne ne l'est pas forcément pour une autre. C'est pour cela qu'il est important que chaque protocole soit individualisé.

À partir de ces postulats généraux, des études ont donc été menées pour "tester" différentes procédures, directement applicables, visant à réduire la fréquence de ces comportements répétitifs. En voici un exemple (vous pouvez consulter cette étude dans son intégralité en cliquant ici) :

Il s'agit d'une étude publiée en 2013 dans la revue Iranian Journal of Psychiatry. L'objectif des auteurs est de mesurer l'efficacité de 2 procédures visant à diminuer les comportements répétitifs d'enfants et d'adolescents qui se rongent les ongles. Voici les étapes d'une de ces procédures :

- Mesurer la taille des ongles avant le début du protocole, puis au bout d'un mois et enfin après trois mois.

- Entraîner les enfants et les adolescents de l'étude à "coter" toutes les fois où ils se rongent les ongles.

- Entraîner les enfants et les adolescents de l'étude à mettre en compétition un comportement alternatif dès l'apparition de signes précurseurs identifiés au préalable. Ce comportement alternatif est en général proche du comportement à changer. On dit aussi que c'est un comportement "incompatible" car il empêche la personne de mettre les doigts à la bouche (manipuler une lime à ongle, un stylo ou un jouet par exemple).

- Entraîner l'entourage à féliciter régulièrement les enfants et les adolescents lorsqu'ils ne se rongent pas leurs ongles dans certaines situations.

Les résultats montrent une augmentation significative de la taille des ongles chez les participants en trois mois de thérapie. Mais il serait intéressant de voir si ces résultats se maintiennent à plus long terme.

Précisons enfin que, dans certains cas, des médicaments peuvent être prescrits du fait de la mise en jeu de mécanismes neurobiologiques dans les comportements répétitifs. Mais les études à ce sujet sont rares.