Si nous ne pouvions pas prédire, comprendre et parfois contrôler notre environnement, nous aurions une vision bien chaotique du monde. Nous avons donc tout intérêt à prédire notre environnement le mieux possible pour pouvoir y réagir efficacement. Pour cela, l’être humain est sensible à l’ordre des évènements dont il est témoin dans son environnement. Lorsque nous observons deux évènements successifs, nous avons en effet tendance à attribuer une relation de cause à effet entre ces deux évènements (le premier événement est vu comme une cause du deuxième). Ce fonctionnement facilite nos apprentissages et notre survie.
Pourtant, cette tendance que nous avons à organiser les évènements peut parfois nous jouer des tours en modifiant nos perceptions. Illustration :
Cet extrait est inspiré d’une expérience bien connue des cinéphiles, « l’effet Koulechov », du nom de son expérimentateur, le cinéaste soviétique Lev Koulechov (1899-1970).
Dans cet extrait, Alfred Hitchcock illustre comment un même plan (un personnage qui sourit) peut être perçu de manière très différente en fonction du plan qui le précède. On perçoit ainsi une émotion différente pour chacun des deux visages souriants d’Alfred Hitchcock, alors que ces deux plans sont strictement identiques. C’est parce que les causes du sourire d’Hitch ne sont pas les mêmes, que l’on perçoit leur effet différemment.
Nos attentes pourraient-elles influencer nos perceptions ?
Jusqu’ici, la démonstration est plutôt simple à comprendre. Mais les choses se compliquent avec cette autre hypothèse : dans l’environnement, certains évènements s’enchaînent de façon régulière ; ces régularités créent des attentes concernant les événements à venir. Ces attentes ne pourraient-elles pas à leur tour influencer et modifier notre perception du monde ?
Dans les années 70, une expérience a tenté de vérifier cette thèse. On a demandé à des participants d’écouter l’enregistrement d’un discours qui leur était familier. Dans ce discours, certains mots ont été remplacés par des sons neutres. Pourtant, les auditeurs ont cru entendre les mots manquant dans le discours. Le son neutre a tout de même été entendu par les auditeurs, mais à un autre moment du texte, sans interférer avec sa compréhension.
Ce que cette expérience tend à montrer, c’est que notre perception d’un événement auditif peut différer de la réalité pour aller dans le sens de nos attentes. Des expériences plus récentes1 démontrent des résultats similaires, mais pour d’autres modalités sensorielles, comme la vue. Des modifications de notre perception visuelle s’observent d’ailleurs dans la vie de tous les jours, lorsqu’il nous arrive de ne pas remarquer une coquille à la lecture d’un texte : nous croyons voir le mot correctement écrit, sans voir la faute.
Que se passe-t-il dans notre cerveau ?
D’un point de vue physiologique, lorsque deux évènements de notre environnement s’enchaînent de façon régulière, une configuration d’activité entre les neurones se forme dans le système nerveux (cette organisation résulte du processus de sélection naturelle). En quelque sorte, les évènements de l’environnement sélectionnent les connexions du système nerveux qui spécifient le monde dans lequel nous vivons. Autrement dit, notre activité neurologique reflèterait la structure de notre environnement.
Lorsque nous sommes confrontés à des événements familiers de notre quotidien, ces configurations de neurones déjà établies se réactivent plus volontiers, nous donnant parfois l’impression de percevoir quelque chose qui en réalité n’existe pas.
On pourrait penser que ces « erreurs » de perception nous « freinent » dans nos performances. Au contraire, elles ont pour intérêt de faciliter notre lecture du monde. Sans ce mécanisme d’activation sélective de nos neurones, l’être humain aurait bien du mal à se comporter efficacement dans son environnement.
Source :
Descamps, C. et Darcheville, J. C. (2009). Introduction aux neurosciences comportementales. Paris : Dunod.