Benoît Hamon, ministre de l'Education nationale, lance un débat sur l'évaluation scolaire. Selon lui, le système actuel « retient beaucoup les lacunes, parfois décourage, peut même paralyser, et peut contribuer à accentuer les difficultés des élèves qui ont le moins de capital culturel, le moins de capital social » (Le Nouvel Observateur). Le ministre souhaite au contraire encourager les progrès et valoriser les acquis.
Alors peut-on vraiment réformer l’évaluation des élèves ? Voici quelques éléments de réponses…
Une culture de la note
À l'école, la mauvaise note est associée à l'erreur, à la faiblesse, à l'échec, à la honte, voire au chômage, à la pauvreté, la misère, l'exclusion sociale, etc. Pas étonnant que les élèves fassent tout pour éviter les ratures. Échapper à la mauvaise note et tout ce qu’elle symbolise devient ainsi la motivation principale à se mettre au travail. C’est même un moyen efficace pour augmenter les performances scolaires de la plupart des élèves !
Les défauts du système actuel d’évaluation
1. Mais le système de notation implique des effets émotionnels importants chez de nombreux élèves : anxiété, colère, voire agressivité. Cette « peur » de l’échec peut s’observer chez tout type d’élèves, quel que soit leur niveau, les plus brillants comme les moins « bons ». Bien sûr, on peut arguer que le stress fait partie du jeu, qu’il est une composante de notre société dans laquelle nous sommes et serons toujours, jusqu’à la mort, soumis à l’évaluation.
La note entraîne aussi un effet de comparaison entre les élèves et, dès l'élémentaire, les différences sont affichées. Outre cet effet de dévalorisation sociale, les différences de niveaux ne sont également pas sans conséquences sur les attentes que peuvent avoir les évaluateurs sur leurs élèves (effet Pygmalion). Bien sûr, les différences de compétences et de bagage socio-culturelles existent, mais est-ce nécessaire de les souligner ?
2. Ensuite, les critères d’évaluation et la façon d’évaluer les élèves manquent bien souvent de précision. Toute la question est de savoir si la note obtenue par l’élève reflète de façon précise et objective la compétence que l’enseignant est sensé évaluer. L’étude de cas suivante illustre assez bien cette problématique :
Au cours d’exercices de math, un élève inverse les dizaines et les unités. Il écrit par exemple 21 au lieu de 12 pour répondre à la question : 7 + 5 = . On pourrait faire l’hypothèse que cet élève ne maîtrise pas suffisamment les règles de calculs ou présente des troubles des apprentissages. Mais après analyse, on se rend compte que les erreurs de calcul sont volontaires et ont pour fonction d’attirer l’attention de l’enseignant. Un autre exemple plus courant est celui de l’élève « lent » dont la mauvaise note reflète plus son manque de rapidité plutôt qu’une réelle lacune dans la compétence testée.
3. Enfin, il existe un autre problème majeur lié au système actuel : avec sa mauvaise note, l'élève sait ce qu'il n'a pas bien réussi, mais n'apprend pas nécessairement comment s’améliorer. À force d’être en échec, on peut en effet voir apparaître chez certains élèves une absence de motivation à s’améliorer, ceux-ci s’étant « habitués » aux mauvaises notes qui perdent progressivement de leur « pouvoir » de motivation. Pour augmenter les compétences d’un élève et le faire progresser dans ses apprentissages, il ne suffit donc pas simplement de lui indiquer ses points faibles. Même si certains élèves pourront découvrir « par eux-mêmes » comment progresser, on a plutôt intérêt à proposer, pour chaque élève, une méthode d’apprentissage plus adaptée, tout en soulignant les points positifs (c’est ce que Benoît Hamon entend par « stimuler »). Pour le dire autrement, le système actuel pourrait être amélioré à condition d'individualiser les évaluations :
« L’inefficacité de notre système d’éducation provient en premier lieu de notre échec à trouver une solution au problème des différences individuelles. L’usage courant consiste à faire progresser au même rythme de vastes groupes d’élèves, soumis exactement aux mêmes matières, et atteignant les mêmes critères de promotion d’un degré à l’autre. La vitesse est adaptée à l’élève moyen. Ceux qui pourraient avancer plus vite perdent tout intérêt et perdent leur temps ; ceux qui devraient avancer plus lentement restent en arrière et perdent aussi l’intérêt ». Face à une classe souvent nombreuse, l’enseignant peut en effet difficilement dispenser une instruction adaptée au niveau de chaque élève. L’une des difficultés de l’enseignement consiste alors à aménager une progression adaptée à la fois aux plus faibles et aux plus forts » (B. F. Skinner)
Pour conclure
- Alors oui, on pourrait arrêter de noter les élèves. On en retirerait certains bénéfices, mais l’on s’exposerait peut-être à d’autres problèmes : l’élève ne travaillant plus pour éviter l’échec, il lui faudrait trouver une autre source de motivation pour travailler… Au risque d’observer, comme l’annoncent certaines critiques, une diminution du niveau scolaire. Mais les motivations à long terme existent déjà dans l’institution scolaire. Ainsi, parmi les éléments pouvant motiver l’élève à travailler, on peut citer par exemple l’avantage d’une formation permettant d’accéder à une pratique professionnelle. Mais ces avantages viennent au terme de l’éducation. Or, pour un meilleur apprentissage, ce sont plutôt des conséquences motivantes immédiates qu’il faudrait privilégier.
- Alors oui, on pourrait aussi proposer des évaluations plus précises et des programmes d’apprentissages plus individualisés. Mais là encore, on s’expose à d’autres difficultés : la question des moyens humains et financiers.
Le débat lancé par le ministre n’est donc pas près de s’arrêter…