Un article paru récemment au Courrier international fait état d’un phénomène de générosité original observé dans plusieurs chaînes de restauration drive nord-américaines : des clients se mettent à payer le menu de l’automobiliste qui les suit. Cet élan de bonté consistant à faire « un cadeau désintéressé à un inconnu » se propage au client suivant qui paye à son tour le repas du client d’après et ainsi de suite. L’idée est intéressante puisqu’elle permet de générer des comportements d’altruisme, même si au final personne n’est gagnant financièrement.

Dans le genre « payer pour les autres de façon anonyme », on observe également depuis un certain temps dans différents commerces et brasseries un mouvement appelé « café suspendu » ou « café en attente ». Pour résumer, le « café suspendu » consiste à acheter deux cafés (ou plusieurs !) et n’en consommer qu’un seul pour ainsi laisser les cafés restant à disposition de clients moins fortunés. Ces clients n’ont plus qu’à entrer dans l'établissement et demander s'il n'y a pas de « café en attente ». À l’origine du « café suspendu » serait une tradition napolitaine datant de plus de 100 ans : le « caffè sospeso ».

Au départ, il s’agit donc simplement de créditer des cafés pour les plus démunis. Mais l’idée est en train de se décliner à d’autres produits et à d’autres pays qui sont de plus en plus nombreux à jouer le jeu. Ainsi on a pu voir le phénomène germer dans une boulangerie à Bordeaux, dans une friterie à Bruxelles, une pizzeria et une librairie à Caen.

Pour en savoir plus et connaître les différents commerces proposant le « suspendu » :

https://www.facebook.com/events/317248645081862/324720351001358/?notif_t=like

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L’un des aspects les plus intéressants du « café suspendu » est qu’il permet au donateur de faire l’économie d’une interaction sociale avec le bénéficiaire du don. On sait en effet qu’il est repoussant pour certaines personnes d’entrer en relation avec un public marginal. On se dit « je lui donnerais bien une pièce, mais ça me gêne, j’ai peur de croiser son regard, je ne sais pas quoi lui dire, je le trouve repoussant, je n’ai pas envie qu’il me parle, j'ai peur qu'il interpète mal, etc. ». Bref, donner à une personne dans le besoin nous est parfois coûteux socialement et c’est aussi la raison pour laquelle parfois nous ne donnons pas, même si la somme est bien souvent minime (quelques dizaines de centimes d’euros). Le café suspendu nous ôte donc le poids de ce coût social et libère plus volontiers des comportements de générosité. Et c’est certainement cette économie d’une interaction sociale jugée déplaisante qui fera en parti le succès de ces « cafés suspendus ».

Ainsi, les gens ne deviennent pas d’un coup généreux ou altruistes. C’est un changement de leur environnement qui fait émerger de tels comportements de dons. Alors bien sûr, tout cela est très positif, mais ne nous y trompons pas, l’être humain n’est pas encore devenu totalement désintéressé. En réalité, il est même assez rare d’émettre des comportements totalement gratuitement, c’est-à-dire sans y trouver un certain intérêt. Ainsi, le principal avantage que l’on puisse tirer à donner aux nécessiteux est de se soustraire d’un sentiment désagréable de culpabilité. Le don nous procure donc un mieux être, en cela il est intéressé. Quant au commerçant qui décide de pratiquer le « café suspendu » dans son établissement, c’est aussi l’occasion pour lui de se faire un peu de promotion.

Au-delà de ces quelques considérations théoriques, l’important à retenir est certainement que le « caffè sospeso » rend un peu plus heureux ceux qui en ont le plus besoin.