Ce post est une tentative de réponse à boules de fourrure, qui me demandait de commenter un post de fluorette, médecin particulièrement remontée contre sa ministre. Ceux qui sont intéressés par la question des dépenses de santé peuvent aller lire ce post sur Econoclaste, voire encore mieux, acheter ce remarquable livre qui contient un chapitre entier consacré aux dépenses de santé.
Sur ce genre de sujet, un point de départ est toujours l'indispensable simulateur d'indice des prix de l'INSEE, qui permet d'avoir une idée de l'évolution des prix de divers produits depuis 1998, et qui permet de faire de jolis graphiques. Voici par exemple l'évolution de l'indice général des prix.
Les prix ont donc augmenté de 26,3% depuis 1998, soit une inflation moyenne de 1.8% par an. Dans la même période, le prix de la consultation de médecine générale est passé de 115 francs, soit 17.53€, à 23€, une hausse de 31.20%. C'est donc un peu plus que l'inflation, mais celle-ci agrège des prix qui ont fortement augmenté, d'autres qui ont baissé ou stagné.
Et c'est là qu'est l'intérêt du simulateur de l'INSEE. Il permet d'observer les évolutions pour différents groupes de produits, et de constater que la consultation généraliste a augmenté à peu près au même rythme que l'alimentation (30.6%) les loyers (33.5%) les coiffeurs (29.3%) entre autres. C'est même moins que les restaurants et cafés (35%) qui ont eux, pourtant, bénéficié d'une TVA à taux réduit. Etrangement la hausse du prix de la coiffure, assez proche de celle de la consultation médicale, mobilise beaucoup moins de ministres.
Par ailleurs, si l'on regarde la courbe pour les dépenses de santé en général, on constate au cours de la période l'évolution suivante:
Les produits de santé ont augmenté au rythme de 0.1% par an, 1.7% en tout depuis 1998 : une hausse imperceptible.
Il y a là un phénomène étrange. Lorsque la somme de 23 euros passe d'un client à un coiffeur, cela ne semble perturber personne. Le fait que le coût de cette transaction augmente plus vite que l'inflation ne conduit pas à considérer les prix des coiffeurs comme abusifs, alors que nombre d'entre eux semblent dépasser largement le tarif moyen : on m'a même dit qu'ils faisaient de la discrimination et faisaient payer les femmes bien plus que les hommes, mais je n'ose pas croire cette affirmation.
Alors que si la somme de 23 euros passe d'un patient à un médecin, tout de suite, c'est inquiétant. La hausse des dépenses de téléphone portable, d'ordinateurs tablettes, est applaudie; mais que les gens dépensent plus pour leur santé, voilà qui nous conduit à la ruine. Il faut s'inquiéter de ces médecins qui abusent, et ne veulent pas aller s'installer au fin fond des campagnes pour soigner les vieillards que leurs enfants ne daignent plus aller visiter.
On connaît la raison de cet état de l'opinion : c'est que les dépenses de santé passent par l'Etat (ou plutôt, les organismes de protection sociale), qui rembourse partiellement le client et prélève pour cela des cotisations sociales. Si vous lisez le post cité plus haut (ou l'excellent livre...) vous saurez pourquoi il y a de très bonnes raisons à cela. Que se passer de cette procédure publique n'a pas tellement tendance à réduire les coûts de la santé, bien au contraire.
Mais cette opération crée un artifice comptable : si les dépenses de santé sont moins importantes que les recettes des organismes sociaux, apparaît le "trou de la sécu" qui menace de tous nous dévorer. Alors que ce trou n'est qu'une convention comptable (si l'on décidait demain que la TIPP doit servir à financer les dépenses éducatives, on pourrait faire de la même façon apparaître un "trou de l'éducation") et que la dépense de santé sont un simple transfert de revenu, dans lequel les gaspillages sont faibles.
Cela ne veut pas dire qu'il ne faut rien faire pour réduire les coûts de la santé et rendre le système plus efficace; mais les coûts de la médecine générale et leur hausse sont surtout déterminés par la maladie des coûts - le fait que les activités intensives en main d'oeuvre ne peuvent guère que voir leur prix augmenter.
Peut-être qu'un jour les commentateurs qui adulent ces entreprises qui trouvent de nouveaux produits ou services à nous faire acheter, qui nous font admirer les chiffres de croissance considérables des dépenses en smartphones, nous annoncerons un jour triomphalement "les dépenses de santé ont augmenté de 10% l'an dernier, c'est formidable". Comme disent les anglo-saxons, je ne retiens pas ma respiration en attendant. D'ici là, ils se contenteront d'inviter les ministres pour leur demander ce qu'ils font pour réduire nos dépenses de santé.