Les retraites sont de retour
Comme le beaujolais nouveau ou la coupe du monde de football, la question des retraites s'invite dans l'actualité à intervalles réguliers. Le cycle est bien rodé : une campagne électorale dans laquelle on s'abstient soigneusement d'en parler, sauf pour déplorer le pouvoir d'achat insuffisant des retraités (à cause de la politique du précédent gouvernement), les difficultés rencontrées par ceux qui doivent partir plus tard en retraite (à cause des scandaleuses réformes du gouvernement précédent) et la situation financière du système de retraites (ruiné par, etc, etc). Une fois au pouvoir, on réunit une commission qui répète ce que l'on sait déjà et n'a pour rôle que de préparer le terrain à une négociation, à l'issue de laquelle on modifie quelques paramètres du système : âge de départ, taux et durée de cotisations, etc; et ce, jusqu'à la prochaine réforme.
Résultat : les retraites sont un sujet d'inquiétude majeur pour les français, juste après le chômage. Et ceux-ci sont particulièrement sceptiques sur la capacité des gouvernements à améliorer les choses, ce qui n'arrange rien. Mais il y a un corollaire : tous les arguments sur ce problème sans solution ont été présentés. Ceux qui veulent un bon résumé des enjeux des retraites apprécieront ce récent livre sur le sujet, qui les synthétise de manière particulièrement claire.
On aura l'occasion de revenir dans ces pages sur le sujet. Aujourd'hui, on abordera des aspects peu traités de la question.
La perte de revenu en retraite est surestimée
La question des retraites se focalise sur le revenu des retraités, le "taux de remplacement" (c'est à dire la fraction du revenu d'activité que l'on touchera en retraite) mais ce problème est surévalué, sous la pression d'une industrie financière ravie de voir affluer ainsi les épargnants inquiets.
En pratique, si le revenu diminue effectivement significativement avec la retraite, la perte réelle est bien plus faible qu'anticipée. C'est que dans le même temps, toute une série de dépenses liées au travail disparaissent également: il n'est plus nécessaire d'acheter des sandwiches hors de prix à la cantine du bureau, des vêtements pour aller travailler, de payer pour les trajets quotidiens au travail... et d'épargner pour sa retraite. Les retraités disposent par ailleurs de temps pour accroître leur production domestique; faire pousser des légumes dans son jardin plutôt que d'en acheter au supermarché, tailler soi-même sa haie plutôt que de faire appel à une entreprise rémunérée, faire son ménage plutôt que de recruter une femme de ménage, par exemple.
Répétons-le : il ne s'agit pas de penser que le montant des pensions de retraite est un faux problème, que les retraités sont prospères, etc. Partir en retraite implique une perte de revenu qui peut être très significative. Mais simplement de rappeler que le problème est moins important qu'on ne pourrait le penser en se limitant à comparer le revenu d'activité et le montant de la pension. A posteriori, les retraités constatent que l'impact négatif de la retraite sur leur pouvoir d'achat et leur consommation est moins grand que prévu.
Les conséquences de la retraite sur la santé sont sous-estimées
L'image de la retraite est celle d'un repos après une vie de travail harassante. En réalité pourtant, la retraite n'est pas bonne pour la santé. En moyenne, le départ à la retraite a pour conséquence d'élever le risque de problèmes de santé grave, et partir à la retraite accroît entre autres le risque de dépression, de problème physique, dégrade l'état de santé perçu, et augmente la prise de médicaments, indique une récente étude britannique.
Il faut se méfier de ce genre d'études, qui lie départ à la retraite précoce et dégradation de l'état de santé. Il est par exemple possible que cela vienne de ce que les gens qui sont déjà en mauvaise santé (sans le savoir) auront tendance à chercher à partir en retraite plus tôt; il est possible aussi que le départ à la retraite soit l'occasion pour les personnes de prendre plus de temps pour aller chez le médecin, conduisant à découvrir des problèmes auparavant passés inaperçus.
Mais ces résultats britanniques corroborent d'autres travaux, (voir cette étude et celle-ci, par exemple) dont les résultats sont toujours les mêmes : en moyenne, la retraite dégrade l'état de santé, même s'il y a de très grandes variations dans cet effet entre les personnes.
La retraite, c'est la liberté
A chaque débat sur les retraites, toute une série de commentateurs présentent la nécessité d'augmenter l'âge de départ en retraite comme une nécessité évidente. Mais il faut noter que les commentateurs et décideurs en matière de retraite ont en commun d'appartenir à des professions dans lesquelles on ne cesse de travailler que pour aller au cimetière. L'âge moyen des représentants politiques et syndicaux français est passé de 45 à 59 ans entre 1982 et 2000. Et que dire de ces personnalités médiatiques dont la carrière a commencé alors que plus de la moitié des français vivant aujourd'hui n'étaient pas nés?
L'expérience de ces commentateurs, pour lesquels la vie professionnelle est très épanouissante, voire addictive, n'est pas représentative de celle des gens, qui aspirent pour l'essentiel à partir en retraite. Pour la majorité des gens, travailler est répétitif, contraignant et déplaisant; et la retraite est le moment ou l'on peut enfin vivre comme on le souhaite. Ce que l'on veut consommer en retraite, c'est de la liberté. Quitte à devoir en subir les conséquences de santé et de perte de revenus.
Peut-être que la vraie question posée par les retraites n'est pas celle que l'on croit. Au fond, la retraite devrait nous conduire à nous demander pourquoi, dans nos sociétés si prospères, qui sont capables de trouver des moyens de satisfaire les besoins les plus variés, le travail reste une telle contrainte, déplaisante au point de vouloir le quitter dès que cela est possible. Pourquoi il existe si peu d'emplois que l'on puisse exercer par plaisir, de façon durable, et pourquoi tant d'emplois ressemblent à de l'esclavage salarial. La vraie question des retraites est celle de la nature du travail.