Voici donc le sujet de sciences économiques et sociales traité en 10 points.
1 Pourquoi c'est important
Comme le montre le graphique qui illustre ce post, l'histoire économique du monde peut tenir en un schéma. Pendant des millénaires le revenu par personne est resté constant, puis s'est mis à augmenter de manière vertigineuse depuis la révolution industrielle. La croissance économique, c'est ce changement spectaculaire, et c'est aussi l'un des plus grands mystères économiques. Pourquoi et comment apparaît-elle? D'où vient-elle? Peut-elle perdurer? Les conséquences des réponses à ces questions sont d'une importance cruciale pour le destin de l'humanité. En 1950, les deux pays les plus pauvres du monde étaient le Congo et la Corée du Sud. 50 ans plus tard, les écarts de taux de croissance ont fait que l'un d'eux est resté dans cet état, que l'autre est devenu un pays riche .La donnée économique la plus importante pour vos enfants, c'est le taux de croissance par tête du pays dans lequel ils se trouveront au cours des 50 prochaines années.
2 Le travail et le capital, ça sert à produire
La production, c'est ce que font les gens qui travaillent, et qui utilisent des machines qui démultiplient leur force de travail. Une première idée pour expliquer l'augmentation de la production est donc que le nombre de personnes et de machines augmente. Ce qui est vrai : depuis la révolution industrielle, la population mondiale a considérablement augmenté (donc le nombre de travailleurs) et la quantité de capital aussi (nous avons beaucoup plus de routes, de machines, de bâtiments, que nos ancêtres d'il y a 300 ans). Les pays pauvres ont aussi beaucoup d'habitants, mais peu de capital, ce qui pourrait expliquer leur pauvreté.
Mais imaginons qu'on double, dans un pays, le nombre de travailleurs et la quantité de capital (deux fois plus de routes, de véhicules, de bâtiments, etc). Par exemple, considérez un paysan, muni d'un tracteur, dans un champ. On installe dans le champ voisin un autre paysan, avec un tracteur. Comment va évoluer leur production? Va-t-elle augmenter, et si oui, de combien?
3 Le rôle des connaissances
Avoir des machines, et des travailleurs, c'est une chose. Mais cela exige que les travailleurs sachent utiliser les machines, disposent donc de compétences et de connaissances pour cela. Les économistes, toujours gracieux, appellent capital humain l'ensemble des connaissances et compétences d'une population qui permettent d'augmenter la production. Celle-ci va constituer une condition nécessaire pour que les travailleurs puissent utiliser les machines. Dans notre exemple, si le second paysan ne sait pas se servir du tracteur, faute de savoir en lire le mode d'emploi, la production des deux ne sera pas tellement supérieure à celle d'un seul.
4 L'organisation
Si nos deux paysans savent se servir de leurs machines, comment va évoluer leur production? Cela dépendra de leur capacité à travailler ensemble. La division du travail peut leur permettre d'être à deux bien plus efficaces que s'ils travaillent isolément; mais pour s'ils veulent travailler ensemble, ils doivent trouver des moyens de le faire efficacement (éviter d'être tentés de moins travailler en espérant que l'autre fera tout); de se répartir de manière acceptable les fruits du travail commun, etc. S'ils sont deux, cela peut se faire. S'ils sont 100 000, cela devient nettement plus complexe. S'ils sont 50 millions, la tâche devient encore plus redoutable. Les compétences organisationnelles vont donc être cruciales.
5 Les ressources non reproductibles
Et un autre problème va se présenter : certaines ressources productives ne peuvent pas être reproduites à l'infini. Le champ sur lequel se trouvera le second agriculteur sera peut-être un peu moins productif que le premier, et celui du troisième encore moins, etc. Il sera peut-être possible de compenser ces limites par un peu plus de travail et de capital; labourer un peu plus intensivement le second champ par exemple. En jargon d'économiste, on appelle cela la substitution du capital naturel par le capital artificiel. Si la population de poissons dans la mer diminue, on peut augmenter quand même la quantité pêchée en augmentant le nombre de bateaux. ceci, bien entendu, ne pourra pas se faire indéfiniment. Au bout d'un moment, certaines ressources naturelles pourraient manquer et conduire à la diminution brutale de la production.
6 Les idées
Qu'est-ce qui va donc permettre la croissance à long terme, pour éviter les obstacles des points précédents? C'est la production d'idées. Les idées, les connaissances, ont une caractéristiques remarquables : elles peuvent être transmises d'une personne à une autre gratuitement. Si j'ai de la farine pour faire un gâteau, et que je la donne à une autre personne, je ne l'ai plus; par contre, si je lui donne ma recette de gâteau, je peux toujours l'utiliser et elle aussi. Par ailleurs, les idées donnent lieu à d'autres idées; si je connais différentes recettes, je peux les combiner pour en inventer de nouvelles. Par exemple, faire une nouvelle sorte de gâteau à partir d'une recette de crème au chocolat et d'une recette de biscuit. Les idées peuvent générer des substituts aux ressources naturelles, et transformer des matières auparavant inutilisées en ressources utilisables. Le pétrole était un polluant des nappes phréatiques jusqu'à l'invention de techniques de chimie permettant d'en extraire de l'essence, des huiles, et autres composés chimiques utilisables. Les idées permettent aussi d'inventer des façons de faire travailler ensemble un grand nombre de personnes (pensez à l'invention de la chaîne de montage et de la production de masse).
Nous ne sommes pas aujourd'hui plus riches parce que nous avons, comme Louis 14, une floppée de valets pour nous éclairer la nuit, mais parce que nous disposons de techniques (l'ampoule électrique, la production d'électricité) qui nous permettent de nous éclairer pour un prix dérisoire. Toute la fortune de Nathan Rothschild, l'homme le plus riche du 19ième siècle, ne l'a pas empêché de mourir d'une septicémie, maladie que l'on guérit aujourd'hui à l'aide d'un antibiotique qui coûte quelques euros.
7 Les incitations et les institutions
.La croissance économique signifie donc utiliser de plus en plus efficacement le travail, le capital, à l'aide de connaissances et de compétences organisationnelles, grâce à l'invention de nouvelles idées. Mais cela pose la question des mécanismes sociaux qui permettent de faire émerger et de diffuser les idées. Comme les inventions sont facilement copiables, il faudra trouver des mécanismes légaux qui protègent un peu les inventeurs, mais pas trop (car sinon, leurs inventions ne se diffuseront pas suffisamment). Il faudra donc des institutions, des règles du jeu implicites et explicites, qui déterminent la production et la diffusion des idées, et incitent les gens à produire des idées et à travailler efficacement. Une grande part de la recherche sur la croissance consiste à identifier les institutions en question, sujet sur lequel les certitudes sont rares.
8 D'où viennent les bonnes institutions?
Et les institutions elles-mêmes, d'où viennent-elles? Comment se fait-il que certaines sociétés semblent avoir des institutions favorables à la croissance, et d'autre pas? C'est la question la plus difficile. Certains ont évoqué le rôle de la culture (certaines cultures sont-elles plus favorables que d'autres à la croissance?) d'autres la géographie (difficile d'être très productif dans un pays ravagé par la malaria) d'autres les hasards de l'histoire (la forme de colonisation subie, par exemple, dont on trouve encore les stigmates aujourd'hui). Aucune de ces explications n'est entièrement convaincante. L'origine ultime de la croissance reste un mystère.
9 Et dans tout ça, quelle est la part du capital et du travail?
Minime. Les diverses estimations aboutissent à ce que dans la croissance économique effectivement constatée, l'essentiel ne peut pas être expliqué par la quantité de travail et l'augmentation du stock de capital. Selon les calculs, c'est entre 80 et 90% de la croissance des pays riches depuis la révolution industrielle qui s'explique par la ""productivité totale des facteurs" - encore du jargon pour indiquer "tout ce que les économistes ne savent pas mesurer". C'est embêtant, parce que cela signifie que l'essentiel des facteurs de la croissance échappent à notre connaissance. Ce qui n'empêche pas d'essayer.
10 François Hollande a l'air de l'attendre, la croissance. Vous avez un conseil à lui donner ?
Depuis le début des années 70, la croissance ralentit dans les pays riches (pour être voisine de zéro depuis 2000); elle est rapide dans les pays qui rattrapent les pays riches (comme la Chine) mais devrait ralentir chez eux aussi lorsqu'ils auront fini leur rattrapage. Parmi les pays riches, personne ne semble avoir la recette, les idées permettant d'avoir une croissance plus forte; tout le monde est touché par le même ralentissement. Il y a donc trois scénarios:
- soit on a atteint un maximum de prospérité, il ne va plus y avoir pour ainsi dire de croissance parce qu'on a épuisé toutes les bonnes idées utilisables.
- Ou alors, peut-être qu'on est sur le point de connaître une croissance spectaculaire, sous l'effet de techniques nouvelles qui ne sont pas encore suffisamment diffusées. Pendant des décennies, l'automobile a été un gadget pour riches; et puis, soudain, un ensemble de techniques ont permis d'en faire un bien de consommation de masse et la base de la réorganisation de la production et de l'organisation urbaine. Peut-être que nos téléphones, qui servent aujourd'hui surtout à transférer des photos de chats mignons, vont finir par avoir un impact comparable.
- Ou enfin, peut-être que nos sociétés ont atteint un niveau de complexité tel que nous ne savons plus inventer de choses radicalement nouvelles, et que nous ne parviendrons pas à contrer l'impact de la raréfaction des ressources naturelles que notre système technique utilise de manière surabondante. Dans ce cas-là, nous allons nous effondrer comme l'île de pâques.
Quel que soit le scénario, François Hollande en sera, comme nous tous, spectateur impuissant.