L'Union Européenne doit-elle, comme le préconise le commissaire européen au commerce Karel de Gucht, contrer le dumping chinois sur les panneaux solaires par des droits de douane? Ou doit-elle au contraire, suivant l'Allemagne et 17 autres pays, préférer éviter un conflit commercial et renoncer à cette idée? En France, le choix est fait : il faut lutter contre le dumping chinois. Mais est-ce le bon choix?
Le dumping, une stratégie peu fréquente
Les règles de l'OMC permettent à un pays membre de prendre des mesures contre le dumping. Le dumping est la pratique consistant à vendre à un prix inférieur au coût de production - par exemple, en bénéficiant de subventions sur son territoire national - pour ruiner ses concurrents, afin d'ensuite se récupérer en élevant ses prix, en bénéficiant d'une position de monopole. Dans de tels cas, l'état victime de dumping a le droit d'imposer des droits de douane pour compenser les subventions perçues par le concurrent étranger.
Si cette pratique semble facile à appliquer a priori, et si le dumping est une accusation fréquemment rencontrée dans le débat public, elle laisse les économistes dubitatifs. La stratégie de dumping ne peut fonctionner que dans des conditions très restrictives. Il faut que l'entreprise qui vend à perte puisse de cette façon anéantir ses concurrents; mais qu'ensuite, elle ait la possibilité de vendre à des prix élevés pour récupérer les pertes de la phase de dumping. Or, qu'est-ce qui empêche un concurrent, à ce moment-là, d'apparaître et de vendre à un prix normal?
Le dumping, pour fonctionner, suppose donc un marché entièrement ouvert tant que les étrangers le pratiquent, le temps qu'ils ruinent les entreprises nationales; mais entièrement fermé ensuite. Cela peut sans doute arriver, mais rarement.
Par ailleurs, les études empiriques du dumping montrent qu'en pratique, l'accusation de dumping est surtout utilisée par des entreprises qui veulent préserver leurs rentes. Aux USA, les entreprises nationales accusant un concurrent étranger de dumping se voient donner raison par l'administration dans plus de 90% des cas; même le sénat américain s'est inquiété de procédures antidumping dans lesquelles en pratique, le gouvernement est juge et partie, donnant systématiquement raison aux plaignants industriels, au détriment des consommateurs.
Panneaux solaires : un dumping chinois?
Néanmoins, dans le cas des panneaux solaires, l'Union Européenne dispose d'arguments convaincants. Au moment de la crise de 2008, le gouvernement chinois a mené un plan de relance dont l'une des composantes était un soutien massif à l'industrie du panneau solaire. Il y a du coup une capacité de production énorme en Chine, supérieure aux besoins nationaux. Les entreprises chinoises ont donc été amenées à exporter vers les USA et l'Europe, qui mettaient au même moment en place des dispositifs incitant les ménages à s'équiper en panneaux solaires.
Résultat, les producteurs chinois ont acquis une part de marché de 80% en Europe. Les Etats-Unis ont de leur côté décidé d'imposer des droits de douane montant jusque 255% sur les panneaux solaires chinois, à la demande de l'entreprise allemande Solar World, qui détient la principale usine américaine de panneaux solaires dans l'Oregon. Sous cet angle, le tarif suggéré par la commission européenne, à la demande entre autres du même Solar World, de l'ordre de 47% en moyenne, semblent presque timides.
Efficacité nulle
Ce que l'expérience américaine montre, c'est que ces tarifs douaniers n'ont pas de conséquences négatives majeures; mais qu'ils n'ont pas d'effet positifs non plus. Les producteurs de panneaux solaires américains promettaient des milliers de créations d'emploi dans le secteur; les installateurs de panneaux solaires promettaient des hausses de prix considérables et 60 000 emplois perdus? Au bout du compte, le résultat est... ni l'un ni l'autre. La production américaine de panneaux solaires n'a pas changé; le prix des panneaux solaires aux USA a un peu augmenté; surtout, les USA se fournissent désormais massivement dans d'autres pays que la Chine, en particulier la Malaisie ou Taiwan. La baisse des importations chinoises n'a pas bénéficié à la production américaine. Et Solar World a continué à supprimer des emplois dans son usine de l'Oregon.
Et de pousser aux mêmes mesures en Europe. Pour probablement le même résultat : les producteurs chinois déplaceront leur activité dans d'autres pays d'Asie, et la hausse de prix des panneaux solaires aura surtout pour conséquence de décourager les consommateurs, déjà passablement échaudés par la réduction des subventions. Peu de gens installent des panneaux solaires sur leur toit par plaisir, et la réactivité de la demande par rapport au prix est très forte dans ce secteur.
Il n'y a donc pas grand-chose à gagner à ces tarifs douaniers; il y a par contre beaucoup à perdre si le gouvernement chinois réagit en élevant à son tour ses droits de douane sur les produits européens. Elle aurait toutes les raisons de le faire : après tout, l'Europe ne manque pas non plus de subventions sectorielles. Et il suffit de regarder ce tableau pour comprendre pourquoi. Dans un monde de production éclatée en multiples pays, ou l'origine géographique des produits est très floue, quelques pays, en particulier l'Allemagne, ont réussi à bien se placer dans les chaînes de valeur mondiale. Résultat : la valeur ajoutée dans un iphone est à 18% allemande, contre 4% seulement pour l'assemblage chinois. Et c'est une position qui serait dangereusement menacée si la Chine décidait d'accroître ses droits de douane sur les produits européens.
Se placer intelligemment dans les chaînes de valeur mondiales devrait être la logique des politiques industrielles nationales; on préfère trop souvent soutenir des industries en surcapacité et sans grandes perspectives. A ce titre, les panneaux solaires chinois sont une énième diversion pour éviter de se poser les bonnes questions.