Comme chacun sait, la période des fêtes de noël est difficile. Tant de décisions à prendre, tant de recommandations contradictoires. Les lecteurs réguliers de ce blog savent qu'on vous y a déjà fourni des guides de survie. Comment fêter Noël comme un économiste? Pour sauver la planète, faut-il préférer le sapin naturel ou un sapin en plastique?
Cette année, penchons-nous sur un sujet brûlant : les jouets genrés. En entrant dans le magasin de jouets, devez-vous vous diriger vers le rayon entièrement rose, au risque d'encourager votre fille dans les préjugés sexistes? Si votre fils veut comme cadeau un déguisement de policier et des playmobil-maître chien, tandis que votre fille ne jure que par les lego princesses et une poupée Elsa chantant "libérée, délivrée", devez-vous désespérer devant leur soumission au marketing transnational, ou tenter de corriger leurs biais?
Le sujet est tellement grave qu'il y a eu un rapport du Sénat sur le sujet. Allez dire que vous ne vous laissez pas faire par les stéréotypes, vous allez vous faire insulter. Choisissez des Lego roses, vous voilà accusés d'encourager le sexisme. Que faire?
Quand les femmes ont cessé de coder
L'émission de radio Planet Money a consacré il y a quelques années un reportage aux femmes et l'informatique. Des métiers qui sont aujourd'hui majoritairement masculins.
Pourquoi en est-on arrivé là? Contrairement aux emplois industriels des années 50 qui pouvaient nécessiter une certaine force physique, l'informatique ne semble pas a priori être biaisée en faveur des hommes. D'ailleurs, à ses débuts, c'était nettement l'inverse. Le personnel qui décodait les messages secrets des nazis pendant la seconde guerre mondiale à l'aide des premiers ordinateurs était très majoritairement féminin. Et comme le montre le graphique ci-dessus, le taux de féminisation des études d'informatique, aux Etats-Unis, suivait la progression de celui d'autres professions, comme le droit ou la médecine, au moment ou celles-ci se féminisaient.
Mais en 1983 la tendance s'est brutalement interrompue: le taux de féminisation des études d'informatique s'est effondré pour ne jamais remonter. Que s'est-il passé?
Selon Jane Margolis, c'est la conséquence imprévue de l'invention de l'ordinateur personnel. Les fabricants, voulant trouver un public pour ces ordinateurs à destination du grand public, ont choisi un marketing très orienté vers les garçons, insistant sur le fait que les ordinateurs permettaient de jouer à des jeux plutôt testostéronés, et faisaient des garçons actifs, qui avaient toutes les chances de séduire les filles. Les films de l'époque orientés vers les ordinateurs (comme l'iconique Wargames) reposaient sur un scénario immuable : un jeune geek accomplissant des exploits avec son ordinateur, et séduisant les jeunes filles à la fin.
Et cela a eu des conséquences : les parents ont eu plutôt tendance à acheter des ordinateurs pour leurs fils, même si leurs filles en voulaient un aussi. Résultat, à l'université, les garçons avaient déjà eu l'occasion de manipuler des ordinateurs, les filles beaucoup moins : cela leur conférait un avantage qui a conduit les filles à progressivement abandonner ces cours. Dans les années 70, les enseignants partaient du principe que tous les élèves partaient de zéro : dans les années 80, ils faisaient des cours pour les étudiants déjà avancés, qui se trouvaient être majoritairement des garçons.
En somme, les jouets "pour fille et pour garçon", cela compte, et peut vraiment avoir des effets pervers.
Vive le lego rose
Mais faut-il en conclure que les jouets neutres sont la solution? Pas forcément. Prenez l'exemple des Lego. On vous dira souvent, en présentant par exemple les publicités de la marque dans les années 70, que les lego étaient autrefois non genrés : il n'y avait aucune différence de couleur, de types de boîtes, entre les filles et les garçons. Les publicités (comme celle que vous voyez ci-dessus, en illustration de cet article) insistaient sur une idée : les lego, c'est pour tout le monde, fille et garçon.
Mais il y avait un problème. La raison pour laquelle Lego insistait sur cet aspect, c'est que leurs produits étaient de manière ultra-majoritaire acheté pour les garçons - 90% des boîtes achetées étaient destinées aux garçons.
Cela ne faisait évidemment pas les affaires de la marque, qui n'avait accès qu'à la moitié masculine des acheteurs potentiels de jouets. Elle a donc cherché depuis longtemps, de manière souvent maladroite, à atteindre la clientèle des petites filles. Elle a fini par y parvenir avec la gamme Lego Friends, destinée de manière explicite aux filles et qui a été un succès commercial.
Cela a bien entendu suscité des polémiques : de nombreux commentateurs déplorent que la seule manière que Lego a trouvé pour vendre ses produits aux filles, est de faire des jouets qui leur sont spécifiques à la fois pour les couleurs (pastels, rose, mauve) et pour les représentations (studio de beauté, salles de danse, etc).
D'un autre côté, Lego a longuement cherché à rendre ses produits attractifs pour les filles (et surtout leurs parents), et la neutralité des Lego n'a pas été un succès. Certes les Lego Friends renforcent les stéréotypes; mais ils constituent une porte d'accès pour les filles vers un style de jeu (jeux de construction) qui leur est le plus souvent refusé.
L'exemple des ordinateurs peut faire réfléchir. La situation actuelle, avec des métiers de l'informatique très masculins, difficiles d'accès pour les filles, la misogynie qui règne dans bon nombre de parties du monde de l'informatique (comme le jeu vidéo) n'est pas satisfaisante. Peut-être que si à l'époque, les fabricants d'ordinateurs avaient eu l'idée de faire des ordinateurs rose, et des jeux aux couleurs pastel, les choses auraient été différentes.
En attendant, si votre fille veut vraiment de ce poney rose en Lego, vous auriez bien tort de l'en priver pour de mauvaises raisons. Joyeux noël.