Le Venezuela et l'économie du populisme

Effondrement

Le Venezuela s'effondre. L'économie est en chute libre, tandis que l'inflation est estimée aux alentours de 800% pour l'année. Et ce dans un pays qui était en 1999 le plus riche (en PIB par habitant) d'Amérique du Sud, et qui dispose des premières réserves pétrolières du monde.

Chaque jour apporte son lot de nouvelles surréalistes. Le pays a changé de fuseau horaire et réduit la semaine de travail des fonctionnaires à deux jours pour lutter contre la pénurie d'énergie. Les hôpitaux sont dévastés. On fait la queue nuit et jour devant des magasins vides; le pays manque de tout. L'inflation est tellement forte que le pays n'arrive plus à produire ses billets de banque. Caracas, sa capitale, est la ville la plus dangereuse au monde. le prix de l'essence a augmenté de 6000% en février. Le tout sur fond d'émeutes, et d'un conflit entre le président Maduro, héritier politique d'Hugo Chavez, et le parlement.

Ce qui se passe au Venezuela n'est pas franchement une surprise. D'ailleurs, pour faire un peu le malin, j'avais prédit que cela arriverait exactement comme cela il y a 9 ans. Mais je ne devrai pas trop faire le malin : je pensais que cela viendrait bien plus vite que cela.

Le populisme macroéconomique

En 1990, Les économistes Rudi Dornbusch et Sebastian Edwards ont constaté qu'au Pérou, se déroulait une séquence d'évènements familière, qui s'était déjà produite dans d'autres pays sud-américains (via Frances Coppola). Ils y ont consacré une conférence, devenue un livre collectif, "macroéconomie du populisme en Amérique latine". Dans le chapitre introductif du livre, ils décrivent ce qu'ils appellent "l'économie populiste" et décrivent, à partir d'exemples divers (Mexique, Pérou, Chili, Argentine, Brésil, Nicaragua...) la nature du populisme économique et ses conséquences.

Selon les auteurs, le populisme économique apparaît après une longue phase de stagnation économique, souvent consécutive à une longue austérité budgétaire. Cela s'accompagne de très fortes inégalités, donnant l'impression au plus grand nombre qu'il serait possible de faire mieux. L'austérité budgétaire a dans le même temps dégagé des marges de manoeuvres budgétaires.

Dans ce contexte, le populisme consiste à s'affranchir de toutes limites, à considérer qu'il n'y a aucune contrainte qui devrait s'imposer à la politique. Les populistes s'appuient sur un discours consistant à dire qu'ils ne rencontrent aucune limite économique, que les seuls obstacles qu'ils rencontrent proviennent des étrangers et des forces oligarchiques qui complotent pour les renverser (ce qui est d'ailleurs souvent le cas). La situation budgétaire permet d'augmenter les déficits publics, la stagnation économique laisse des capacités de production inactives, et l'austérité a dégagé des réserves de change.

Le programme économique s'articule selon trois axes: redistribuer par des hausses importantes de salaires et des dépenses publiques; réactiver l'économie grâce à cette redistribution qui accroît la demande; et restructurer l'économie en contrôlant, directement ou indirectement, les entreprises, de manière à devenir une économie à forte croissance qui peut supporter des salaires plus élevés.

Les 4 phases du populisme

Et l'application du programme populiste se déroule en quatre temps.

Dans un premier temps, le programme populiste semble fonctionner. La demande augmente et les salaires aussi. Le contrôle des prix évite que les hausses de salaires ne conduisent à trop d'inflation. Les éventuelles pénuries sont compensées par la consommation des stocks de produits, et des importations, financées par les réserves de devises du pays.

Dans un second temps, les réserves de devises se tarissent et l'économie commence à connaître des pénuries, à cause de la forte demande que le système productif ne peut pas satisfaire en totalité. Le contrôle des prix devient de plus en plus nécessaire, causant de nouvelles pénuries. L'inflation augmente, et avec elle des discours contre les "spéculateurs" - commerçants et petits entrepreneurs accusés d'entretenir la hausse des prix contre le peuple. Les salaires continuent d'augmenter, mais au prix de déficits publics qui explosent.

Troisièmement, les pénuries se multiplient, l'inflation accélère vertigineusement, causant la fuite des capitaux. Le déficit public explose brusquement, faute de recettes fiscales et parce qu'il faut dépenser toujours en subventions. Le gouvernement se trouve contraint de renoncer à certaines subventions (sur les biens de consommation de base) ce qui cause des émeutes et une forte instabilité politique.

En quatrième phase, le gouvernement est renversé (constitutionnellement ou par un coup d'état) et le pays subit un changement de politique. Un programme de stabilisation budgétaire brutal est imposé. Mais les salaires se retrouvent à un niveau très inférieur à celui qui prévalait avant la mise en place du programme populiste. La désorganisation économique, le souvenir traumatisant de l'épisode populiste, a durablement fait fuir les capitaux et réduit l'investissement. Au bout du compte, les plus pauvres se retrouvent encore plus mal qu'avant, eux-mêmes qui étaient ceux qui devaient bénéficier de ces politiques.

La chute du Venezuela

Le Venezuela est passé par chacune de ces phases. C'est vers 2005 qu'il est entré en seconde phase. Il a pu rester longtemps en s'appuyant sur la hausse du prix du pétrole, tout en dépensant comme si le pétrole était à 200 dollars lorsqu'il était à 100.

Et si le Venezuela détient les premières réserves du monde, son pétrole est de qualité très médiocre, exigeant beaucoup de raffinage. Le restructuration de l'économie, consistant à s'appuyer sur le contrôle du pétrole pour financer les dépenses sociales, a conduit les gouvernements Chavez et Maduro à chasser les cadres compétents de la compagnie pétrolière nationale, pour les remplacer par des fidèles du pouvoir. L'infrastructure s'est dégradée, et faute d'investissements, la production pétrolière du pays s'est effondrée, chutant de 25% entre 1999 et 2013, alors même que les nouvelles technologies d'extraction ont conduit les réserves du pays à augmenter.

La même chose s'est produite pour la production d'électricité. Le gouvernement a pris le contrôle du système de production hydroélectrique, y apportant encore plus de corruption et d'incompétence qu'avant. La construction de centrales électriques diesel, censée compenser la dégradation du réseau hydroélectrique, n'a pas eu lieu: des centaines de millions de dollars qui y ont été consacrées ont simplement disparu dans la nature.

Dans le même temps, le gouvernement ne s'est pas privé de dépenses de prestige d'intérêt douteux, comme 50 millions de dollars par an pour que Pastor Maldonado, l'un des plus risibles pilotes de l'histoire de la formule 1, surnommé "crashtor", puisse rouler. Le gouvernement a également soutenu financièrement de nombreux autres gouvernements "amis" à fonds perdus.

Deux facteurs accélèrent la chute actuelle: la baisse des prix du pétrole qui prive de revenus le gouvernement; et une sécheresse violente, qui a vidé les réservoirs et les barrages produisant de l'électricité. Mais ces phénomènes ne sont que la dernière goutte d'eau d'un vase qui a été rempli pendant les dernières années. En attendant, les Venezueliens souffrent. Comme en concluaient Dornbusch et Edwards, les capitaux peuvent fuir les mauvaises politiques, pas les citoyens ordinaires.