Monsieur Classe éco,
J'ai un compte à la BNP depuis plusieurs années, j'ai pris mon crédit immobilier chez eux, etc. Et toutes ces histoires d'amende de 10 milliards d'euros m'inquiètent. Ils ne vont pas en profiter pour me mettre cela sur le dos en augmentant mes frais de gestion de compte, quand même? Ou me faire payer des agios plus élevés?
Michel S., 139 rue de Bercy, Paris.
Cher Michel,
La question que vous posez rappelle un problème classique en économie: celui de l'incidence fiscale. Il y a deux bonnes raisons de se poser cette question. Premièrement, ce sont des personnes qui paient des taxes ou des amendes, et les entreprises ne sont pas des personnes. Une amende pour chien non tenu en laisse est payée par le propriétaire du chien, pas par l'animal. Deuxièmement, parce que chacun utilise toutes les techniques dont il dispose pour reporter les amendes ou les pénalités sur d'autres, comme pour les impôts. Qui va vraiment payer pour BNP Paribas, si la banque subit une amende des autorités américaines?
Les clients particuliers de la banque?
Ce ne sont pas eux qui ont le plus à craindre. On pourrait penser que la banque serait tentée d'augmenter ses tarifs pour récupérer, au moins partiellement, auprès de ceux-ci les pertes liées au paiement de l'amende. Il y a de bonnes raisons de penser que ce ne sera pas le cas, pourtant. Premièrement, parce que les recettes issues de l'activité de banque de détail sont bien trop faibles pour éponger une amende de 10 milliards de dollars. Les tarifs bancaires, les taux des crédits accordés, ne sont pas décidés unilatéralement par les banques et imposés à leurs clients; ils sont soumis à la concurrence. Une hausse des tarifs suite à l'amende aurait pour effet de faire partir les clients vers d'autres banques. La concurrence limite donc fortement la capacité de la banque à faire payer ses clients.
Si vous avez un doute sur cet argument, posez-vous la question autrement : si BNP Paribas avait le pouvoir d'accroître son bénéfice en faisant payer ses clients plus cher, pourquoi attendre d'avoir une amende à payer pour le faire, pourquoi ne l'auraient-ils pas fait avant? Si vous pensez que c'est par générosité ou bonté d'âme, c'est que vous n'avez pas été très attentif à l'actualité des 10 dernières années. Les clients de la BNP-Paribas peuvent donc être rassurés: ils seront épargnés.
Les salariés de la banque?
Pour les salariés et l'emploi, par contre, il y a des risques. Le secteur financier est de ceux qui recrutent depuis 15 ans; mais cette tendance pourrait s'interrompre, au point que certains voient dans le secteur financier la sidérurgie des prochaines années. Les évolutions techniques réduisent les besoins d'agences bancaires; Le financement participatif se développe, avec le soutien des pouvoirs publics, suggérant la possibilité de se passer des banques pour l'octroi des crédits. L'essor du Bitcoin, malgré ses défauts, traduit le besoin, et la possibilité technique, de moyens de paiement alternatifs.
Evidemment, ces tendances ne sont pas nouvelles, ni spécifiques à BNP-Paribas, encore moins liées au paiement d'une amende. Par contre, l'amende pourrait servir de déclencheur. Une entreprise qui réduit ses effectifs alors qu'elle fait des bénéfices s'attire la réprobation générale; les choses sont différentes si l'entreprise subit des pertes, en particulier si celles-ci sont la conséquences de l'action des méchants étrangers. L'amende pourrait donc précipiter une tendance à la réduction des effectifs qui se profile; mais cela n'est pas certain.
Les actionnaires de la BNP?
Une amende payée aux autorités américaines serait prélevée sur les fonds propres de la banque. Vous lirez parfois des comparaisons entre le total des actifs de la banque (environ égal au PIB français) et le montant de l'amende, mais ce sont des comparaisons dépourvues de sens. Les actifs ont pour contrepartie des passifs - de l'argent dû par BNP-Paribas. Céder des actifs ne fait pas disparaître par magie les dettes; la différence entre les deux se reporte sur les bénéfices de la banque, donc sur ses ressources.
Les actionnaires de la banque devraient donc payer, sous forme de dividendes réduits. Ils ont d'ailleurs déjà commencé à le faire, le cours de bourse ayant fortement baissé depuis l'annonce des difficultés de la banque avec les autorités américaines. Il serait en pratique possible de faire payer l'intégralité de l'amende par les actionnaires: il suffit de ne verser aucun dividende pendant les trois prochaines années. Il n'est pas certain que cette solution soit choisie.
Les contribuables français?
Indirectement, le budget de l'Etat français peut subir les conséquences du paiement de cette amende, de différentes façons. Le risque lié à celle-ci a déjà été provisionné par la BNP à hauteur de 1.1 milliards d'euros, ce qui vient en déduction de son bénéfice, donc de son impôt sur les sociétés. C'est une provision, qui dépend de la nature finale de la pénalité imposée à la banque par les autorités américaines (si celle-ci n'est pas déductible, la BNP devra annuler cette provision et payer l'impôt correspondant).
Les avis sont partagés sur la question. Il semblerait que l'amende payée ne soit pas déductible, et ne donne lieu à aucune réduction d'impôt pour la banque; certains ne sont pas d'accord avec cette interprétation. Cela donnerait lieu, pour le moins, à une négociation entre le ministère des finances et la banque. Or on a constaté dans le passé une grande convergence entre BNP-Paribas et Bercy. Il est donc difficile de savoir comment cela se conclurait, mais on ne peut pas exclure que le contribuable soit mis à contribution d'une manière ou d'une autre. En ce moment, le message des politiques est clair : les intérêts de BNP Paribas et du gouvernement sont rigoureusement les mêmes.
L'économie française, européenne, mondiale?
Si BNP Paribas doit payer une lourde amende, elle devra continuer de reconstituer ses fonds propres, comme le font toutes les banques depuis le déclenchement de la crise financière. Cela implique une limitation de la prise de risque, donc moins de crédits accordés; ce n'est pas bon pour l'activité économique, et le poids de BNP Paribas dans l'économie française fait que cet impact s'exercera sur celle-ci.
La contraction des crédits accordés est un gros problème dans la zone euro; et il est certain que si une banque comme BNP Paribas doit restreindre ses crédits, si cela crée un effet de contagion (les autres banques européennes craignant, à leur tour, de faire l'objet des foudres de la justice américaine) ce n'est pas bon pour l'économie européenne. Mais ce problème général appelle surtout une action de la banque centrale européenne pour relancer l'activité; les éventuels problèmes de BNP Paribas sont périphériques à côté de ce problème général.