Les adolescents qui prennent les repas en famille se droguent moins
La période des fêtes se rapproche, et avec elle, la perspective de nombreux repas familiaux. Si vous n'aimez pas les repas en famille, la statistique suivante va peut-être vous faire changer d'avis : les adolescents qui ont fréquemment des repas en famille ont deux fois moins de risques d'abuser de drogues illicites, de tabac et d'alcool.
Cette statistique, devenue célèbre en 2005 lorsqu'elle a été citée par l'actrice Jamie Lee Curtis dans une campagne de prévention américaine, a donné lieu depuis à de nombreux travaux de recherche, et illustre bien la difficulté d'identifier des causalités en sciences sociales. La statistique initiale provient d'une étude effectuée par téléphone auprès d'un millier d'adolescents américains, ce qui pose la question de la méthode : tous le monde ne répond pas à une enquête par téléphone, et la validité des réponses données dans une telle enquête est contestable. Néanmoins, le résultat a été confirmé par d'autres études et semble relativement robuste.
Ce résultat semble confirmer nos a priori sur l'importance de la famille; mais il peut s'expliquer en fait de nombreuses façons. La causalité peut être inverse : un adolescent qui consomme des drogues ou s'alcoolise régulièrement aura tendance à le faire avec d'autres, et à rater souvent le repas familial. Plus probablement, le fait dans une famille de prendre le repas avec les enfants correspond à un certain type de famille, dans laquelle les parents ont plus de chances de se préoccuper de ce que font leurs enfants. "Prendre les repas en famille" est alors un raccourci pour toute une série de caractéristiques familiales favorables, mais plus difficiles à mesurer.
Et il semble bien que cette seconde hypothèse soit la bonne. Les repas en famille sont un indicateur du bon fonctionnement familial, et lorsqu'on corrige celui-ci, ils n'ont pas vraiment d'effet spécifique. En somme, si des parents font absolument tout mal dans l'éducation de leurs enfants, le fait de décider de prendre les repas avec eux ne changera pas grand chose. Inciter des familles dysfonctionnelles à prendre des repas ensemble pourrait même avoir un effet négatif.
Forger le caractère
Ces études montrent en tout cas que l'investissement parental peut bénéficier aux enfants. Les traits de caractère ont énormément de conséquences sur leur vie future, et sur leurs revenus tout au long de la vie; et l'éducation peut avoir un impact sur le caractère, celui-ci n'est pas figé. L'économiste James Heckman a ainsi récemment fait le point sur l'état des connaissances sur le sujet. Il en ressort quelques idées générales:
- les traits de caractère (persévérance, goût de l'effort, sociabilité...) ont un impact très important sur la réussite future, à la fois scolaire et professionnelle. Leur impact est aussi important que celui des capacités cognitives.
- les traits de caractère ne sont pas figés ou prédéterminés : le degré d'investissement des parents, les efforts d'éducation ont beaucoup d'impact sur les traits de caractère des enfants.
- Plus l'investissement éducatif est effectué tôt sur l'enfant, en bas âge, plus ses effets sont durables et importants. Heckman est un grand promoteur de l'école maternelle universelle aux USA.
- Mais rien n'est figé, et à tous les âges, l'investissement éducatif a des effets, même si ceux-ci sont moins durables lorsqu'ils sont commencés à l'adolescence.
Ces résultats peuvent sembler banals; mais ils vont à l'encontre d'une idée répandue, selon laquelle les personnalités sont prédéterminées, que l'éducation ne sert qu'à révéler les qualités sous-jacentes des individus; et qu'il y a des gens pour lesquels la formation est une perte de temps et de moyens. L'éducation, et l'investissement parental, comptent énormément; et les perspectives des enfants sont loin d'être prédéterminées.