Mettre les parents retardataires à l'amende?

La commune de Bourogne, dans le territoire de Belfort, vient de décider d'imposer aux parents qui viennent chercher leurs enfants en retard à la sortie de l'école une amende de 5 euros par quart d'heure de retard. Le but de l'opération est d'enrayer les retards des parents, qui s'accumulent dans cette école, générant des coûts importants pour la commune, obligée de payer des heures supplémentaires aux agents assurant la garde.

C'est une très, très mauvaise idée.

En 1998, les économistes Uri Gneezy et Aldo Rustichini ont mené l'expérience suivante. Dans les maternelles en Israël, les parents d'élèves arrivaient parfois en retard pour chercher leurs enfants. Résultat, alors que l'heure de fermeture est normalement à 16 heures, certains parents arrivaient jusqu'à 16h30, obligeant un enseignant à rester pour attendre les parents retardataires. Pendant 20 semaines, de manière expérimentale, dans la moitié des crèches de la ville de Haïfa, les parents en retard devaient payer une amende de 10 shekels pour un retard de 10 minutes ou plus (par comparaison, le salaire horaire d'une baby-sitter en Israël était de 15 shekels à l'époque de l'étude). Aucune amende n'a été imposée dans les autres crèches.

Résultat ? Comme le montre le graphique suivant, le nombre de retards a augmenté (pratiquement doublé même) après la mise en place de l'amende, alors qu'il restait constant dans les crèches sans amendes.

creches

 

Il y a pire : lorsqu'au bout de 20 semaines, l'expérience a pris fin, les parents n'avaient plus d'amende à payer, mais le nombre de retards est resté à son niveau élevé, et n'a pas diminué.

Une amende, c'est un prix

Ce paradoxe n'est pas isolé. L'expérience a été reproduite, et d'autres contextes ont donné le même résultat : les pénalités financières augmentent ce qu'elles sont censées dissuader. C'est qu'une amende change la perspective des gens.

Lorsqu'aucune amende n'existait, les parents qui arrivaient en retard avaient le sentiment de violer une norme sociale : on n'arrive pas en retard, c'est impoli, et ne pas le faire suscite de la honte et de l'embarras. En arrivant en retard, on impose une contrainte à une personne serviable, l'employé obligé de rester tard.

Mais dès lors qu'une amende existe, le contexte devient un contexte marchand. Il y a un prix au fait d'arriver en retard. Et pour les parents, désormais, il n'y a plus de honte associée : "je paie, j'ai donc le droit d'arriver en retard". Arriver en retard devient acceptable, pourvu qu'on en paie le prix.

Et lorsque l'amende a existé à un moment, il est difficile de revenir sur cette nouvelle norme : lorsqu'un service est apparu comme marchand, il le reste. C'est pour cela que les parents, alors que l'amende avait été supprimée, ne sont plus revenus à leur ancien comportement.

D'après le maire de la commune, "la majorité des parents comprend l'intérêt de la mesure". Si l'on en croit l'expérience des économistes, il va très bientôt déchanter.