Mittal n'a jamais été bienvenu en France
"Monsieur Mittal fait de l'eau de Cologne, nous faisons de la parfumerie". A cette entreprise indienne, médiocre, sans projet industriel, nous préférons l'entreprise Russe Severstal, dont le président, M. Mordashov, est un "vrai européen", "occidentalisé", avec lequel nous "partageons des valeurs". On ne peut qu'être choqué par cette attaque contre l'Airbus de la sidérurgie!
Ce petit florilège de citations hystériques, à la limite du racisme, date de 2006 et de l'OPA de Mittal sur Arcelor. Elles rappellent qu'Arnaud Montebourg n'innove pas vraiment en déclarant qu'on ne "voulait plus de Mittal en France"; la vérité, c'est qu'on n'en a jamais voulu, au point de lui préférer un oligarque russe, des gens qui partagent nos valeurs (sic). Même à cette époque, Severstal était considéré par le Montebourg de l'époque, le ministre de l'économie Thierry Breton, comme un sauveur potentiel pour Arcelor. Les ingénieurs des mines français n'ont jamais accepté le rachat de cette entreprise par celui qu'ils considèrent comme un pouilleux du Tiers-Monde.
On notera également que la mansuétude des politiques français s'est arrêtée lorsqu'ArcelorMittal a fermé ses installations à Liège, en Belgique; Les inquiétudes concernant le "projet industriel" s'arrêtent manifestement lorsqu'il s'agit de fermer les usines chez les autres.
fétichisme sidérurgique
Parmi les principes de la do-it yourself économie - cette doctrine économique partagée par les gens n'ayant aucune connaissance du domaine, mais beaucoup d'idées sur celui-ci - se situe en bonne place l'idée d'une hiérarchie des activités de production. Dans cette hiérarchie, l'industrie est une activité primordiale, et parmi les activités industrielles, aucune n'a autant d'importance que la sidérurgie. Affirmez "la sidérurgie est une activité stratégique" et personne ne viendra vous poser la moindre question. Osez questionner cette idée, on vous regardera comme un martien. Seule une "logique financière aveugle" peut expliquer que l'on envisage de fermer des sites de production sidérurgique.
Cette fascination pour la sidérurgie a donné lieu à certaines des politiques industrielles les plus absurdes de l'histoire. Pendant le grand bond en avant, la fascination de Mao pour la sidérurgie (et le modèle soviétique) avait conduit à installer des hauts fourneaux dans tous les villages. Les villageois en étaient réduits à faire fondre leurs ustensiles de cuisine pour atteindre le quota de production d'acier qui leur était imposé. Lors de la famine de 1958, ils ne pouvaient pas être dans les champs, et périrent par dizaines de millions.
En Russie, l'accent mis sur la sidérurgie était tel que la production d'acier atteignait des niveaux supérieurs à la consommation des USA, sans que l'on sache ce qu'ils pouvaient bien faire de tout cet acier; une bonne partie de celui-ci, faute d'utilisations, pourrissait sur place à la sortie des aciéries.
Dure réalité
En émettant l'idée d'une prise de contrôle temporaire (probablement pour revente à Severstal) le gouvernement français n'a probablement pas les modèles russes et chinois en tête (encore que...). Mais on voit mal comment il pourrait aller contre certaines réalités, bien perçues par Mittal dont le projet industriel a toujours été la rationalisation de la production d'acier au niveau mondial, et la constitution d'un groupe suffisamment important pour imposer ses prix. La première de ces réalités, c'est que la capacité de production européenne d'acier est de 210 millions de tonnes, pour une demande de 150 millions de tonnes.
Dans ces conditions, toute la production d'acier qui sera "sauvée" en France sera autant qui disparaîtra dans d'autres pays européens. Une manière intelligente de gérer cette triste situation serait, au niveau européen, de négocier avec Mittal, pour répartir la misère de la moins mauvaise façon possible.
Il est amusant de constater qu'à l'époque ou les politiques français s'indignaient contre l'OPA de Mittal contre Arcelor, l'un des principaux arguments avancés était que Mittal, entreprise familiale, serait forcément moins performante qu'Arcelor, entreprise capitaliste sous la surveillance des marchés : la "logique financière aveugle" a bon dos.
Mais tout appel à la raison est voué à l'échec. Il impliquerait de se demander ce qu'il y a de vraiment "stratégique" dans la production d'acier, de constater qu'il est absurde qu'une activité dont la productivité augmente bien plus vite que la demande continue d'avoir les mêmes effectifs; le fétichisme sidérurgique rend le sujet tellement émotionnel que tout cela est impossible. On finira peut-être par confier (à vil prix, aux frais du contribuable) quelques sites d'ArcelorMittal à une entreprise russe, ou autre; et dans quelques années, les mêmes réalités auxquelles se heurtent Mittal s'imposeront, et il sera temps de déplacer de nouveau des ministres devant les caméras pour "sauver la stratégique sidérurgie française".