Statistiques maltraitées, édition du mariage pour tous

Le mariage homosexuel déchaine les passions, et les arguments plus ou moins bons. Rassurez-vous, l'analyse économique n'a rien à dire de particulier sur le sujet. Si le sujet vous intéresse, le blog livret de famille est là pour vous. Mais lorsqu'un argument statistique est avancé, et qu'il permet d'illustrer une erreur fréquemment rencontrée, ce serait dommage de se priver de la noter.

Un "argument" qui ne prouve rien

Pierre Bergé, dans un tweet (voir ci-dessus) fait le "simple constat" de ce que "tous les enfants abusés et maltraités d'aujourd'hui sont des enfants d'hétérosexuels". Ce "constat" mériterait d'être étayé par des données (qui n'existent probablement pas). Mais surtout, même s'il était vrai, il ne prouverait strictement rien. Un exemple chiffré imaginaire permet de l'illustrer.

Supposons une population de 10 millions de personnes. Parmi celles-ci, il y a 1% d'homosexuels et 99% d'hétérosexuels. Par ailleurs, on suppose qu'un hétérosexuel sur 100 000 est un abuseur d'enfant; et qu'un homosexuel sur 50 000 est abuseur d'enfant. Cette population est donc composée de 9,9 millions d'hétérosexuels et de 100 000 homosexuels. Parmi les 9,9 millions d'hétéros, il y a donc 99 abuseurs d'enfants; parmi les 100 000 homos, 2 abuseurs d'enfants. Il y a donc au total, dans cette population, 101 abuseurs d'enfants, dont 2 homosexuels.

Faut-il en conclure que les homosexuels sont bien moins dangereux que les hétérosexuels pour les enfants? Certes, ils représentent moins de 2% des abuseurs (2 sur 101 exactement). Mais cette réalité est tout à fait compatible avec le fait, fixé comme hypothèse de départ, que les homosexuels ont deux fois plus de risques d'être abuseurs d'enfants. (1/50 000 contre 1/100 000).

Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : je n'ai pas la moindre idée de la proportion réelle d'abuseurs chez les homos et les hétéros, cet exemple chiffré est totalement inventé. L'argument est simplement le suivant: même si c'est un fait avéré, on ne peut rien déduire du fait que les abuseurs d'enfants homosexuels soient moins nombreux que les hétérosexuels.

La réalité, c'est qu'il est extrêmement difficile de savoir si telle ou telle caractéristique individuelle "prédispose" ou non à commettre des abus sur les mineurs, pour une bonne raison : ce genre de crime est (heureusement) extrêmement rare. Il est dès lors impossible d'établir rigoureusement des causalités. Cette impossibilité a un corollaire : il est possible d'utiliser des anecdotes et de torturer les statistiques pour confirmer à peu près n'importe quel préjugé.

Tous des terroristes?

Et c'est d'autant plus facile que le raisonnement que nous venons de faire (les spécialistes auront reconnu un raisonnement Bayesien) est particulièrement contre-intuitif. Tout un domaine de recherche (dont les auteurs les plus connus sont Daniel Kahneman et Amos Tversky) montre que nous sommes très mauvais pour tenir intuitivement ce genre de raisonnement. Kahneman et Tversky utilisent l'exemple suivant : supposons qu'un musulman sur 10 millions soit un terroriste, et qu'un non-musulman sur 100 millions soit un terroriste. Par ailleurs les musulmans représentent 20% de la population. Dans cet exemple, les musulmans vont représenter plus de 70% des terroristes (20 sur 28, en partant d'une population d'un milliard de personnes) alors qu'ils ne sont que 20% des personnes.

Mais pourtant, vous auriez tort de vous inquiéter si un individu de type Moyen-Oriental s'assied à côté de vous dans l'avion; dans notre exemple, il y a 99,99999% de chances qu'il ne soit pas un terroriste. Ce chiffre serait certes de 99,999999% s'il n'était pas musulman; vu sous cet angle, la différence est imperceptible. Pour autant, vous sentez-vous vraiment rassuré? Sans doute pas.

Le tweet de Pierre Bergé illustre cette erreur, sous une autre version. Les adversaires du mariage gay ont compté eux aussi, leur lot d'arguments statistiques bidon. Ce genre de sujet ne se discute que rarement de manière totalement rationnelle.