La ministre de la Santé vient d'annoncer un plan pour les urgences médicales, autour de deux priorités : désengorger les urgences et garantir pour chaque Français un accès aux soins urgents en moins de 30 minutes. Sans préjuger de l'efficacité des mesures qui seront prises, une chose est certaine : fixer des objectifs sous cette forme est dangereux.Les économistes appellent "Loi de Goodhart" le phénomène suivant : lorsqu'une donnée (ici, le temps d'attente aux urgences) est utilisée comme objectif, elle cesse d'être pertinente, parce que les gens s'y adaptent. Les employés soumis à cet objectif, en particulier, vont chercher à le satisfaire, oubliant au passage la raison pour laquelle l'objectif chiffré a été mis en place.
Le système de santé britannique illustre ce problème. Dans les années 90, le gouvernement de Tony Blair a cherché à l'améliorer en imposant un système d'incitations, de récompenses et de sanctions, liées à la réalisation d'objectifs. Par exemple, 90% des appels pour une ambulance devaient donner lieu à une réponse en moins de 8 minutes. Très vite, ces indicateurs ont été satisfaits, ce qui a permis aux ministres et responsables de se féliciter de leur efficacité.
Mais deux économistes, Gwyn Bevan et Christopher Hood, ont douché les enthousiasmes. En analysant finement l'impact de ces objectifs chiffrés, ils ont constaté par exemple qu'un nombre énorme d'appels pour les ambulances obtenaient une réponse entre 7 minutes trente et 8 minutes :
Pourquoi ce pic? Les auteurs ont avancé diverses explications, comme le fait que les gens chargés de mesurer les temps de réponse trichaient sur les chiffres, ou donnaient la priorité aux appels pour lesquels le trajet estimé pouvait se faire en moins de 8 minutes. D'autres indicateurs donnaient le même genre de réaction : l'objectif de réduction des temps d'hospitalisation conduisait les hôpitaux à refuser les malades à pathologies lourdes (ceux qui avaient le plus besoin de soins) au bénéfice de pathologies légères ne nécessitant qu'un court séjour.
En bref, les objectifs chiffrés sont un outil à manier avec précautions. Améliorer les urgences est un choix louable: se fixer une contrainte chiffrée aussi précise risque de conduire la ministre affirmer l'an prochain, triomphalement, que l'objectif est atteint, sans que cela n'améliore vraiment la situation.