Benjamin Netanyahu est plutôt satisfait. En concluant un accord avec le parti russophone d’Avigdor Lieberman, il fait d’une pierre deux coups. Il renforce sa coalition gouvernementale qui passe de 61 à 66 députés sur les 120 que compte la Knesset. Mais, surtout il se donne les moyens de renforcer son contrôle de l’élite militaire du pays avec qui il a souvent eu des relations tendues. Et cela dés son premier mandat de chef du gouvernement israélien en 1996. A l’époque, le général Oren Shachor, responsable de l’administration des territoires palestiniens disait : « Netanyahu et ses proches qualifient les officiers de Tsahal « d’employés au service de la gauche » et donc les traitent comme des suspects. Dans le passé tous les Premier ministres, et soutenaient l’armée puisque c’est sur elle qu’est fondé le pays. Ce n’est pas l’attitude du gouvernement Netanyahu [1]» Après quatre mois à la tête du cabinet du Premier ministre, le général de réserve David Agmon en était parti en claquant la porte, au début de 1997, en déclarant : « Bibi prend ses décisions au petit bonheur. Il n’écoute pas les experts. Une partie de son temps est consacré à la communication et à la manipulation de la presse. Il ne rédige aucun procès-verbal après ses rencontres avec des dirigeants étrangers ou avec les responsables palestiniens [2]»
Netanyahu a gardé un très mauvais souvenir de la campagne électorale qui a vu, le 17 mai 1999, sa défaite face à Ehoud Barak, le soldat le plus décoré du pays, entouré d’une impressionnante brochette d’anciens généraux, de chefs de la police et de patrons de services de renseignement. Les militaires ne s’étaient pas mobilisés uniquement contre l’homme Netanyahu, mais contre sa philosophie politique, contre l’idée que le « melting pot » à l’israélienne avait échoué, faisant place à une société divisée en tribus dont il fallait assouvir les exigences pour se maintenir au pouvoir[3].
La fin du rêve sioniste selon Meir Dagan ?
Après l’échec du processus d’Oslo avec les Palestiniens, l’éruption de la seconde Intifada et la deuxième guerre au Liban, élu à nouveau chef du gouvernement en mars 2009, il a formé une coalition avec le parti russophone d’Avigdor Lieberman, les formations orthodoxes et les travaillistes d’Ehoud Barak, son ancien adversaire, qui fut aussi son commandant durant son service militaire au commando d’état major. Les deux hommes ont préparé une opération contre ce qu’ils considéraient comme la principal menace existentielle à laquelle Israël faisait face : le nucléaire iranien. Mais, à deux reprises, en 2010 et en 2011, lorsqu’ils ont donné l’ordre à l’armée de l’air de commencer le compte à rebours, le chef d’état major, le général Ashkenazi, s’était prononcé contre. Le patron de Mossad, Meir Dagan menaçait de démissionner. Ils ont exigé vote en règle du cabinet de sécurité. Là, Moshé Yaalon, général de réserve et ministre des Affaires stratégiques avait rejoint les militaires ainsi que Youval Steinitz qui avait le portefeuille des finances[4]. Les avions n’ont pas décollé en direction de Téhéran.
Des graines..
Dagan, ex-général lui aussi, nommé à la tête du Mossad par Ariel Sharon est devenu, après avoir quitté ses fonctions, un opposant intraitable à Netanyahu. En mars 2015, en pleine campagne électorale il a pris la parole au cours d’un meeting de la gauche à Tel Aviv en déclarant : « J’ai peur tout particulièrement de la crise que traverse notre leadership, la plus grave que nous ayons jamais connue… Benjamin Netanyahu a été Premier ministre pendant six années d’affilée, durant lesquelles il n’a pas produit un seul changement réel pour créer un avenir meilleur. […] Avec Naftali Bennet, il nous conduit à l’état binational, ce sera une catastrophe, cette politique mène à l’apartheid, à la fin du rêve sioniste[5] ».
La voix, de Meir Dagan, s’est tue. Après un long combat contre le cancer, ce légendaire combattant d’Israël est décédé en mars dernier.
Sa vision est aussi celle des responsables militaires du pays telle que le général Yaïr Golan, le chef d’état major adjoint qui, lors de la commémoration de la Shoah, a déclaré: « Une chose m'effraie. C'est de relever les processus nauséabonds qui se sont déroulés en Europe en général et plus particulièrement en Allemagne, il y a 70, 80 et 90 ans. Et de voir des signes de cela parmi nous en cette année 2016. La Shoah doit inciter à une réflexion fondamentale sur la façon dont on traite ici et maintenant l'étranger, l'orphelin et la veuve. […] Il n'y a rien de plus simple que de haïr l'étranger, rien de plus simple que de susciter les peurs et d'intimider… » En d‘autres termes, c’était comparer l’Israël d’aujourd’hui à l’effondrement de la démocratie dans la république de Weimar durant les années 30. Ehoud Barak, qui a quitté la politique, a déclaré dans une interview à une chaine de télévision israélienne : « Le gouvernement est infecté par des graines du fascisme et cela ne peut pas cohabiter avec le sionisme.[6] »
Une nouvelle page de l’histoire d’Israël vient de s’ouvrir. Reste à savoir si elle verra la victoire des tribus de l’état nation du peuple juif, tel que Netanyahu entend redéfinir la nature même du pays ?
[1] Yoram Peri. Generals in the Cabinet Room. US Institute for Peace. Washington. 2006. P.79-80
[2] Voir mon livre : Le rêve brisé. Fayard. 2002. P.116.
[3] Idem.P.117
[4] http://www.timesofisrael.com/barak-netanyahu-wanted-to-strike-iran-in-2010-and-2011-but-colleagues-blocked-him/
[5] http://www.haaretz.com/israel-news/elections/.premium-1.645757 http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-4631634,00.html
[6] News.nana10.co.il