Une culture gauchiste ?
Benjamin Netanyahu lance une offensive sur un nouveau front: la culture. Sur sa page Facebook, en début de semaine, on pouvait lire: « Les jurys du prix Israël, dans certains domaines de la culture, sont devenus au fil des ans le terrain de jeu privé de l’extrême gauche antisioniste et pro palestinienne qui prêche le refus de servir à Tsahal. […] Je ne permettrai pas à des positions pro-palestiniennes de prendre le contrôle de certains domaines du prix Israël. Il est inadmissible qu’au nom de la liberté académique soit rejeté le véritable pluralisme. […] » Quelques députés du Likoud sont allés dans le même sens, par exemple, Miri Regev : « Il est temps que cesse l’hégémonie brutale des gens de gauche et d’extrême gauche sur l’establishment culturel d’Israël »
Le prix Israël ? C’est la distinction attribuée une fois l’an à quelques savants, intellectuels, écrivains, cinéastes et à des citoyens ayant apporté une contribution majeure au pays et à sa culture. La cérémonie, un des points d’orgue de la fête de l’Indépendance, se déroule en présence du président de l’état, du Premier ministre, du président de la Knesset et du président de la Cour suprême qui remettent les prix à leurs récipiendaires. Cette année la tempête a éclaté lorsque Benjamin Netanyahu, en sa qualité de ministre de l’éducation, a décidé de limoger deux membres du jury chargé d’attribuer le prix de littérature, les professeurs Avner Holtzman and Ariel Hirschfeld, ce dernier en raison de son soutien aux militaires qui refusent de servir en Cisjordanie. On ne connaît pas les raisons du rejet d’Holtzmann. Le Premier ministre a également décidé d’interdire la participation d'un autre "gauchiste", le cinéaste Haïm Sharir au jury du prix Israël pour le cinéma.
Les réactions n’ont pas tardé. Par solidarité avec leurs collègues et, au nom du refus de toute ingérence politique 11 des 13 juges ont démissionné, et les candidats à des prix ont annoncé leurs retraits. Notamment les écrivains, Samy Michael, Haïm Beer, Elie Amir et David Grossman qui a déclaré : « J’ai pris cette décision en réaction à la campagne que mène le premier ministre contre les principaux savants et les créateurs en Israël. C’est, de la part de Benjamin Netanyahu, une opération cynique et destructrice qui porte atteinte à la liberté de pensée et à la créativité en Israël ». Même le professeur Ephraïm Hazan, pourtant membre des instances du parti « la maison juive », pro-colons a fait savoir qu’il refusait de participer au jury littéraire : « Les autres juges sont mes amis et nous serions tombés d’accord. Tous ceux qui ont eu le prix jusqu’à présent le méritaient »
Netanyahu renonce
Le scandale prenait de l’ampleur et plusieurs personnalités politiques – de gauche – menaçaient de se tourner vers la Haute cour de justice et Yehouda Weinstein, le conseiller juridique du gouvernement a décidé d’intervenir. Il a écrit à Benjamin Netanyahu pour lui demander de ne pas se mêler des prix Israël durant la période électorale. Le Premier ministre a obtempéré et annulé le limogeage des trois membres des jurys. Mais, le jeu n’est pas calmé pour autant. Hirschfeld et Holtzman hésitent à revenir qu’ils reviendront sous certaines conditions. Mais la plupart des récipiendaires éventuels, parmi lesquels David Grossmann ont définitivement retiré leurs candidatures et il n’est pas certain que le prix pourra être attribué cette année.
L’université antisioniste ?
Au delà de l’aspect électoraliste de cette affaire, on trouve, chez Benjamin Netanyahu, une vision extrêmement négative du monde universitaire israélien, de ces professeurs qui ont ostracisé son père, Benzion. Grand spécialiste de l’inquisition et des marranes, il n’a jamais eu le prix Israël. Selon son fils, cela lui revenait de droit, et ce rejet provient de l’hégémonie intellectuelle de la « gauche défaitiste » telle qu’il la définit dans son ouvrage « Une place au soleil ». Elle serait issue de l’idéologie pacifiste, développée dans les années 20 et 30, notamment par Yehouda Leib Magnes, rabbin et philosophe, c’était un des fondateurs de l’université hébraïque de Jérusalem. Pour Benjamin Netanyahu : « Malheureusement cette vision a encore de nombreux partisans parmi nous. Ils continuent d’ignorer la réalité politique du monde arabe, à rejeter les appels à la destruction d’Israël et prônent une entente avec nos ennemis jurés au lieu de les affronter »
Son proche conseiller Yoram Hazony, un universitaire néoconservateur de premier plan, explique, dans son livre "L’État juif. Sionisme, post sionisme et destins d’Israël" que « l’idée d’un État juif fait l’objet d’attaques systématiques de son propre establishment culturel et intellectuel ». Il situe dans les années 20, l’origine de ce qu’il appelle l’antisionisme de l’université israélienne. Les responsables en seraient les intellectuels juifs allemands, particulièrement le philosophe Martin Buber, l’historien et philosophe Gershom Scholem, Albert Einstein Hanna Arendt et …Yehuda Magnes, issu de "l’aristocratie juive allemande de New York", partisans, avant l’indépendance d’Israël, d’un état binational judéo-arabe ou rejetant le concept même d’un État juif. Si les grands écrivains de langue hébraïque de la première moitié du XXème siècle trouvent grâce à ses yeux, Shmouel Yossef Agnon, prix Nobel de littérature en 1966, Haïm Nahman Bialik, Nathan Alterman, Ouri Zvi Greenberg, etc., il n’en n’est pas de même pour la plus grande partie de la génération suivante.
Florilège: Amos Oz se pose, selon Hazony, « comme l’avocat le plus acharné de l’idée qu’il faudrait considérer les objectifs du sionisme d’Herzl comme une malédiction ». A.B Yehoshoua « tente d’inculquer l’idée de l’État juif cessera tout simplement d’exister ». David Grossmann « cherche sérieusement à enseigner aux Israéliens à reconnaître que c’est la faiblesse qui rend vertueux. »
Côté université : les professeurs Yeshayahou Leibowitz et Yaacov Talmon, eux même influencés par Buber et Scholem, auraient légué à toute une génération d’intellectuels une répugnance à «l‘égard de l’aspiration sioniste à un pouvoir national juif.»
Dans sa réponse au conseiller juridique du gouvernement, Benjamin Netanyahu, a annoncé qu’il allait nommer une commission chargée d’établir les critères de nomination des jurys du prix Israël, après le scrutin, s’il est réélu. L’avenir de la culture israélienne est aussi un des enjeux de cette élection.