La scène a de quoi intriguer. Vendredi dernier, 16 décembre, Ehud Barak, le ministre israélien de la défense, effectue une visite impromptue aux Etats-Unis pour rencontrer le président des Etats-Unis, non pas à la Maison Blanche, mais, pendant une demi heure, derrière l'estrade du Gaylord Hotel à National Harbor dans le Maryland où Barack Obama devait prononcer un discours devant les 5400 membres du Judaïsme réformé. De quoi ont-ils pu parler ? Quelle information ne pouvait pas être transmise par un télégramme chiffré ou une ligne de téléphone cryptée ? Pourquoi une telle urgence et un tel secret ? Ehud Barak est-il venu recevoir une réponse d’Obama? Un mot vient à l’esprit : Iran. Là, Amir Oren, le spécialiste des affaires militaires du quotidien Haaretz explique : « Il peut y avoir trois raisons à une rencontre entre un ministre israélien de la défense et un président américain. Transmettre au chef de l’exécutif une information militaire ou diplomatique. Tenter de convaincre le président de changer sa politique, ou, tenter de savoir s’il y a une possibilité de le convaincre d’effectuer une certaine opération. » Oren poursuit. « Si Barak espérait convaincre Obama d’accepter une attaque contre l’Iran au cours des prochains mois, il n’y a aucun signe indiquant qu’il a réussi ». En tout cas, le ministre est revenu du Maryland particulièrement élogieux envers l’administration américaine. Au cours d’une cérémonie à l’occasion de la fête de Hannouca, le 20 décembre, il a remercié les Etats-Unis qui « plus qu’auparavant, sont aux côtés d’Israël en terme de sécurité, alors que les deux pays sont d’accord pour que tout soit fait afin d’empêcher l’Iran d’obtenir l’arme nucléaire. Actuellement la parole est à la diplomatie, on verra après..»
Israël peut-il lancer une frappe sur le nucléaire iranien sans obtenir le feu vert des Américains ? En tout cas, Benjamin Netanyahu ont, à plusieurs reprises refusé d’avertir Washington de l’imminence d’une telle opération et les responsables de l’administration Obama multiplient les avertissements. Le dernier en date, Leon Panetta, le secrétaire à la défense. Le 2 décembre, lors d’une conférence du centre Saban à Washington, il a répété qu’une intervention militaire contre les installations nucléaires iraniennes ne devait être que le tout dernier recours. De toutes manières a-t-il dit, cela ne servirait pas à grand-chose : « Dans le meilleur des cas, des frappes aériennes retarderaient le programme nucléaire iranien d'un an, peut-être deux. Cela dépend de la capacité à frapper vraiment les cibles qui sont visées. Franchement, certains de ces cibles sont très difficiles à atteindre » Et puis : « Cela ne ferait que profiter au régime actuellement déséquilibré et en décalage par rapport aux soulèvements populaires dans la région. » Et, toujours selon Panetta, cela aurait des conséquences désastreuses pour les économies européennes et américaines en engendrant un cycle de violence incontrôlable au proche Orient.
Un avertissement clair et net auquel Benjamin Netanyahu a répondu indirectement quatre jours plus tard. Prenant la parole, lors de la cérémonie annuelle à la mémoire de David Ben Gourion, à Sde Boker, dans le Neguev, s’identifiant au fondateur de l’état, il a évoqué les décisions fondamentales qu’un dirigeant doit prendre : « Je veux croire que nous agirons toujours avec responsabilité, courage et détermination pour prendre les bonnes décisions, qui assureront notre avenir et notre sécurité » Et de rappeler que Ben Gourion a eu la volonté de « prendre les décisions difficiles, nécessaires afin d'assurer la sécurité et l'avenir d'Israël »... Car il a proclamé l’indépendance d’Israël en dépit des énormes pressions qu’il subissait de l'intérieur et de l'extérieur pour ne pas le faire. L’actuel Premier ministre résistera t-il à toutes les pressions pour donner l’ordre de déclencher la grande opération en Iran ? Il est persuadé que sa mission historique est d’éliminer « la menace existentielle» que constitue le nucléaire iranien.
Pour l’heure, il se heurte à l’opposition de la quasi-totalité des anciens chefs de l’armée et des divers services de sécurité. A leur tête, Meir Dagan, l’ancien patron du Mossad pour qui une frappe israélienne en Iran « serait une idiotie et déboucherait sur une guerre régionale ». A ses côtés, l’ancien chef d’état major, le général Amnon Lipkin Shahak, Youval Diskin ex N°1 du Shin Beth, et le général Ouri Saguy qui a commandé les renseignements militaires. D’après ce que l’on sait, les chefs actuels de l’armée et des divers services sont du même avis mais obéiront à l’ordre s’il vient du cabinet de sécurité où, actuellement, les avis sont partagés. Certains commentateurs israéliens rappellent qu’en 1981 la décision de bombarder Osirak, le réacteur nucléaire irakien, avait été prise par Menahem Begin, sans consulter le gouvernement… En l’occurrence, expliquent ces mêmes experts, une guerre en Iran ne devrait pas avoir lieu avant le mois d’avril prochain. En effet, d’ici là, le ciel est, dans cette partie du monde, trop couvert ce qui gênerait les frappes aériennes. Reste à savoir où en sont les Iraniens. Selon la dernière déclaration de Panetta, le 20 décembre : « Téhéran pourrait développer une arme nucléaire d’ici un an. Moins s’ils ont un centre secret d’enrichissement d’uranium ». Le Pentagone s’est empressé de publier une mise au point. Pour l’instant aucun centre de ce genre n’a été détecté en Iran.
En attendant, et à tout hasard, la défense passive renforce ses préparatifs en Israël. Les exercices, essais de sirènes, mise en alerte de services de secours, d’hôpitaux etc. semblent s’accélérer. La presse et diverses personnalités ont évoqué l’éventualité de ripostes iraniennes. Il y aurait, selon certaines estimations, des dizaines de milliers de victimes israéliennes. Pas du tout, a répondu Ehoud Barak, il y aurait tout au plus 500 morts…
Charles Enderlin