L'appel de la Chaine 10 est rejeté

Tel Aviv, le 4.11.08
Dossier : 3/2008
Appel : 1/2008
Le Comité d’éthique de l’Union de la Presse réuni en tant que juridiction d’appel
Plainte de la chaîne de télévision française France 2 contre la rédaction des actualités de la chaîne 10
La société chaîne 10 – appelante
Personnes présentes :
Membres du Comité :            Maitre Rami Hadar, président
M. le Juge Gabriel Shtersman (qui n’est plus en exercice)
Daniel Peer
Dorit Sarid
Ziva Flok Weiner
Représentants des appelants : Maitre Guilad Vinkler, Maitre Aïna Solan, Ouri Rozen - assistant au directeur général du contentu, Ayelet Haïm Gat – conseillère juridique des informations de la chaîne 10.
Les parties intimées : M. Charles Enderlin – directeur de France 2 en Israël, Maitre Louise Sportas
Décision de justice
1.             Le 12.12.2007, l’appelante a diffusé un reportage (ci-après désigné le reportage) traitant des blessures de Djamel Al Durah, le père de l’enfant Mohamed tué à cette époque, durant les premiers jours de la seconde Intifada. L’évènement s’était déroulé dans la bande de Gaza et il avait eu d’importantes répercussions dans le monde des médias et de la politique. En effet, on a pu entendre que ce sont les tirs des soldats de Tsahal qui ont causé la mort de l’enfant et les blessures du père, bien qu’il ait été possible d’établir qu’il ne s’agissait pas de personnes armées mais d’un père et son enfant.
2.             Parmi les éléments qui ont été dits et vus dans le cadre du reportage portant sur la partie intimée, cette dernière prétend que des passages diffusés ont montré les tirs de telle façon qu’il apparaît qu’il s’agissait d’un reportage monté de toutes pièces.
3.             Le reporter Shaï Hazkani qui a présenté le reportage de l’appelante et qui n’était pas partie à la présente procédure, a dit que bien que sept années étaient déjà passées depuis l’évènement et la diffusion du reportage, « le mythe Al Durah n’a pas cessé et en France, les débats judiciaires se poursuivent autour de la prétention selon laquelle l’enregistrement de France 2 a monté de toutes pièces».
4.             Une personne nommée Stéphane Jouffa dont le statut n’a pas été précisé dans le cadre du reportage, a dit dans le passage qui a été diffusé : « il s’agit de la plus grande escroquerie de l’histoire de la télévision ».
5.             En fin de reportage, le reporter Hazkani dit qu’ « il est important de dire que ces éléments ne prouvent pas que les faits ont été fabriqués ou truqués, et ils ne prouvent bien évidemment pas que Mohamed Al Durah soit en vie, comme le prétendent une partie des enquêteurs sur le sujet. Quoi qu’il en soit, des points d’interrogation subsistent et il faut espérer que des réponses seront trouvées lors du procès à Paris ».
6.             Dans la mesure où le reportage n’a pas identifié cette personne répondant au nom de Jouffa, elle n’a pas identifié non plus les enquêteurs dont l’existence est rappelée.
7.             La partie intimée a prétendu dans le cadre de la plainte déposée à l’Union de la Presse que ce qui a été diffusé dans le reportage n’avait pas été du tout diffusé chez elle (la partie intimée). En effet, l’appelante n’ a pas demandé à vérifier les faits auprès de la partie intimée avant de diffuser le reportage et, lors d’une conversation entre la représentante de l’appelante et le directeur de la partie intimée en Israël, il ne lui a pas été précisé quel sera le reportage objet de la diffusion, faits ou abstentions en contradiction avec les règles éthiques de l’Union de la Presse.
8.             Le Comité d’éthique juge de la plainte conformément aux recommandations de l’adjoint au Conseiller Juridique de l’Union de la Presse. L’appelante n’a pas fait connaître sa réaction à la plainte qui a été déposée contre elle et, dans le cadre de ses prétentions en appel, elle précise que l’Union de la Presse n’est pas compétente pour juger de la plainte, dans la mesure où elle n’est pas membre de l’Union.
9.             L’incompétence juridictionnelle n’a pas été soulevée par l’appelante lors des premiers débats.
10.         D’après l’avis du Comité d’éthique auquel la majorité des membres de la juridiction d’appel se range, l’exception d’incompétence juridictionnelle pour juger de la plainte à l’encontre d’un organisme de presse ne pourra être entendue. En effet, des jugements et décisions ont déjà été rendus en la matière par le passé et il a été décidé que la règle 39 des statuts de l’Union de la Presse accorde au Comité d’éthique la compétence juridictionnelle pour juger des plaintes relatives à la violation des règles éthiques par des professionnels de la presse, même si le journaliste ou l’organe de presse incriminé n’est pas membre de l’Union de la Presse.
11.         En réaction à la demande formulée par l’adjoint au Conseiller Juridique de l’Union de la Presse, l’appelante a prétendu qu’elle avait diffusé des « éléments tels qu’ils sont », et que dans le cadre du reportage, il n’a été ni dit, ni fait allusion au fait que l’enregistrement avait été « truqué » ou « monté de toute pièces ». A titre de preuve, l’appelante a cité les propos du journaliste Hazkani en fin de reportage et selon lequel « il n’existe aucune preuve de fabrication ou de truquage de l’évènement, de la même façon qu’il n’existe aucune preuve que Mohamed Al Durah soit encore en vie » et ces éléments « parlent d’eux-mêmes ».
12.         D’après l’appelante, la partie intimée a refusé de faire référence au sujet, de quelque façon que ce soit, même suite à la demande qui lui a été faite.
13.         Le Comité d’éthique a considéré que l’appelante avait utilisé des « expressions sévères » dans le reportage, et qu’elle avait fait plus que des allusions à l’attention des téléspectateurs et des auditeurs en précisant « qu’en France, les débats judiciaires se poursuivent autour de la prétention selon laquelle l’enregistrement de France 2 a été monté de toutes pièces», aux dires de M. Jouffa dont le statut n’a pas été précisé. En visionnant le reportage ainsi que d’autres films, le Comité n’est pas parvenu à comprendre si l’appelante avait fait en sorte d’obtenir la réaction de la partie intimée avant la diffusion du reportage. Le représentant de la partie intimée a précisé aux membres du Comité qu’aucune personne ne lui avait formulé de demande de réaction qui, si elle lui avait été demandée, aurait été suivi d’une réponse favorable et d’une remise de tous les éléments nécessaires.
14.         Le Comité a rejeté les justifications de l’appelante selon lesquelles les paroles qui accompagnaient le reportage auraient pu être interprétées autrement et ne pas laisser entendre que le reportage était truqué.
15.         Le Comité qui a jugé de la plainte a pris en compte la position de la partie intimée et, en l’absence de considération de la part de l’appelante, ses membres ont visionné d’autres films au sujet du reportage. Ils sont parvenus, à la majorité de deux voix contre une, à la conclusion que l’appelante avait violé les règles éthiques de la profession posées par l’Union de la Presse. Le Comité a condamné l’appelante à une peine d’avertissement et à la diffusion d’un résumé de la décision du Comité.
16.         Alternativement, le Comité a jugé que si l’appelante n’y procédait pas, il demanderait la diffusion de la décision à une autre chaîne de télévision et à de deux journaux quotidiens. La décision ne précise pas qui devra appliquer cette décision.
17.         Dans le cadre d’une opinion minoritaire, il a été précisé que l’appelante avait demandé à la partie intimée sa réaction et c’est pourquoi il n’était pas juste de considérer que l’appelante avait violé les règles éthiques de la profession.
18.         Suite à la décision, l’appelante a décidé de soulever devant la juridiction d’appel, l’exception d’incompétence juridictionnelle du Comité d’éthique de l’Union de la Presse pour juger de la plainte de la partie intimée à son encontre. Mais cette fois, elle est entrée dans le fond des débats en considérant les prétentions exposées par la partie intimée dans le cadre de la plainte d’origine.
19.         Comme il a été précisé ci-dessus au paragraphe 10, le Comité en appel rejette la prétention d’incompétence juridictionnelle.
20.         Concernant les faits et le fond des débats, l’appelante prétend avoir vérifié au mieux les faits avant de diffuser le reportage qui était fidèle et précis dans la mesure où les faits évoqués se basaient sur des informations et sur des sources fiables. Malgré la demande adressée par l’appelante à la partie intimée, ses représentants ont fait savoir qu’ils refusaient de collaborer et de leur transmettre une réaction. D’après l’appelante, la partie intimée ne discute pas les faits puisque ses représentants ont demandé une réaction qui ne leur a pas été transmise. C’est pourquoi ils ne peuvent se plaindre du fait que leur réaction n’ait pas été intégrée dans le corps du reportage.
21.         Dans le cadre de son appel de la décision, l’appelante a dévoilé les faits qui lui semblaient pertinents afin de convaincre le Comité en appel du caractère erroné de la décision rendue par la première instance.
22.         L’appelante se base entre autre sur différents extraits diffusés par la partie intimée et qui n’on pas été présentés dans le cadre du reportage. Ceux-ci démontrent la « simulation » de la part de la partie intimée en montrant un ensemble de faits qui ont servis de base au reportage.
23.         A l’appui de ses prétentions, l’appelante évoque également le fait qu’entre temps, les juridictions françaises ont rendu un jugement dans un dossier opposant le reporter Phillipe Kersanty à la partie intimée. La demande en justice du reporter se basait sur une prétention selon laquelle les images diffusées par la partie intimée et prouvant que Al Durah et son fils avaient été blessés par les soldats de Tsahal, n’étaient pas crédibles. La procédure judiciaire a pris fin avec la décision de la juridiction selon laquelle Kersanty n’est pas coupable de diffamation à l’encontre de la partie intimée. L’appelante a décidé de se baser entre autre sur cette conclusion juridique pour justifier le reportage.
24.         Le Comité d’appel rejette cette prétention dans la mesure où une conclusion négative de la juridiction française ne peut servir de preuve concernant des faits contenus dans le reportage diffusé en Israël.
25.         Plus encore, le Comité a vérifié à nouveau les prétentions des parties afin de savoir si l’appelante avait réellement demandé une réaction de la partie intimée, au reportage, avant de le diffuser.
26.         En étudiant à nouveau les prétentions écrites des parties ainsi que celles qui ont été soulevées lors des débats, la majorité des membres ont conclu qu’une telle demande n’avait pas été faite et que si elle avait été faite, c’était de façon évasive et à demis mots, sans permettre réellement à la partie intimée de faire connaître sa réaction aux propos tenus contre elle dans le reportage. La majorité des membres du Comité considère que même si une demande a été faite –la majorité des membres n’en étant pas convaincu-, l’appelante avait le devoir du point de vue éthique de présenter les choses de façon explicite dans le reportage. Tout le monde s’accorde pour considérer que ces éléments n’ont pas été dits dans le reportage, et, dans ses prétentions, l’appelante précise au paragraphe 67 que « il n’existe aucune obligation légale imposant aux organes de presse de spécifier que la demande de réaction présentée a été suivie d’un refus ».
27.         La prétention selon laquelle « il n’existe aucune obligation légale » d’intégrer ces éléments dans le reportage ne tient pas. Même si cela n’est pas précisé expressément par écrit, il est normal de publier ces informations au nom de « l’honnêteté, de l’intégrité et du courage », évoqués dans le cadre de la règle d’éthique n°3 des statuts. Malgré tout le respect du à l’appelante, le présent Comité ne juge pas selon les lois mais selon les règles d’éthique et de ce qui est ou non adapté en matière de presse. Celui qui recherche un refuge dans les règles du droit par rapport aux règles éthiques démontre ainsi que ces dernières ne sont pas pour lui des principes conducteurs.
28.         De plus, la majorité des membres de l’instance d’appel considère qu’à ce sujet, il y a eu un peu de simulation de la part de la partie intimée. Si la partie intimée avait transmis les demandes à son Conseiller Juridique au lieu de donner une réponse journalistique, l’appelante aurait intégré une telle réaction dans le corps du reportage et cette affaire ne serait pas parvenue jusqu’à nous.
29.         En tous cas et en toute vraisemblance, la majorité des membres considère que si la demande faite par l’appelante à la partie intimée avait été plus claire et sans équivoque, elle aurait été suivie d’une réponse. Les membres du Comité en appel considèrent qu’il était plus simple pour l’appelante de ne pas formuler une demande explicite afin de ne pas risquer de « gâcher le récit ». La mise en cause de la responsabilité du reporter qui ne travaille plus chez l’appelante, et de l’employée dont on ne retrouve pas la trace, démontre l’absence de bonne foi de l’appelante. Malheureusement, à tout point de vue, l’appelante aurait du mentionner dans le corps du reportage qu’elle s’était adressée à la partie intimée sans obtenir de réponse de sa part.
30.         En fin de compte : la majorité des membres du Comité en appel concluent au rejet de l’appel déposé par l’appelante et à l’adoption de la décision prise à la majorité des membres de la première instance, ainsi que de la sanction qui a été prononcée.
 
 
Décision rendue le 27/1.2009
 
Maitre Rami Hadar    Gabriel Shtersman (juge retraité)       Mme Dorit Sarid
_______________            _________________                  ____________
 
 
M. Daniel Peer
_______________    
 
Opinion minoritaire de Ziva Flok, membre du Comité
 
1.             Je considère qu’il convient de recevoir l’appel. L’appelante a fait une demande à la partie intimée, ce que cette dernière a reconnu. La partie intimée n’a pas répondu à l’appelante de façon pertinente et au lieu de donner une réponse ou une explication claire, elle a demandé à l’appelante de se tourner vers son Conseiller Juridique.
2.             Même si l’on peut estimer que le reportage diffusé n’est pas de bonne qualité et qu’il pouvait induire en erreur le téléspectateur au sujet d’un évènement prétendument « fabriqué de toute pièce », cela ne permet de pas de contredire l’appelante qui prétend qu’elle a vérifié les faits avant la diffusion du reportage.
 
3.             C’est pourquoi je considère que l’appelante a respecté au minimum les exigences des règles éthiques des statuts, et je reçois l’appel.
 
 
 
                                                
­­­­­­­­­­_____________
Ziva Flok Weiner
 
 
Publié par cenderlin / Catégories : Al Dura