Le rêve brisé. Histoire de l'échec du processus de paix au Proche-Orient, 1995-2002», Charles Enderlin, Editions Fayard, juin 2002, Paris

La Critique de Giles Paris Le Monde 12 juin 2002

Le rendez-vous manqué avec la paix au Proche-Orient

Ce livre est le récit saisissant d’une inexorable course vers l’abîme. Un compte à rebours où l’espoir et les destins contrariés se livrent une lutte acharnée. Le cours de cette histoire de souffrance, de sang et de mort bousculé en 1993 avec les accords d’Oslo hésite à nouveau après l’assassinat du premier ministre israélien, Itzhak Rabin, le 4 novembre 1995. Le processus de paix, vient de perdre l’un de ses artisans. Un équilibre fragile est remis en cause. Auteur d’une volumineuse histoire des négociations entre Arabes et Israéliens, Charles Enderlin, correspondant permanent de la chaîne France 2 à Jérusalem, assure dans la présentation du Rêve brisé avoir été très vite convaincu de l’inéluctabilité de l’échec après cette disparition tragique. Le rappel à grand pas du fiasco de l’intérim exercé par Shimon Pérès, puis du blocage des années Nétanyahou, dit bien la corrosion des ressorts de la paix, rongés par la méfiance.

Deux hantises

L’attelage qui se présente aux négociations de Camp David en juillet 2000, dont les minutes reconstituées par l’auteur constituent le cœur de l’ouvrage, est brinquebalant et fourbu. Les très nombreux et très riches témoignages rassemblés par Charles Enderlin qui font du Rêve brisé un ouvrage de référence sont souvent accablants pour deux hommes que tout oppose. Elu triomphalement un an plus tôt, et devenu en douze mois le champion de la colonisation, Ehoud Barak, qui vient de s’égarer
sur la « piste syrienne », se présente aux Etats-Unis politiquement usé. Seul un accord pourra lui assurer un sursis. Pour l’obtenir, il ira d’ailleurs plus loin qu’aucun autre responsable politique israélien avant lui. Trop loin pour une coalition en capilotade, mais pas assez pour un partenaire palestinien excédé par un an de tergiversations et de promesses non tenues.
Car Yasser Arafat est sur la défensive. Il juge le sommet précipité. Un accord bâclé peut être mortel. Il ne cesse de le dire à Bill
Clinton. Mais il craint aussi le piège : qu’on lui fasse des propositions difficilement acceptables pour ensuite lui reprocher l’échec.

Yasser Arafat reste figé entre ces deux hantises. Pas question dans ces conditions d’aller au-delà des positions officielles palestiniennes répétées depuis plus d’une décennie. Un Etat avec Jérusalem comme capitale, rien de moins, et c’est précisément à propos de la souveraineté sur l’esplanade des Mosquées, le mont du Temple pour les juifs, que vont se fracasser les négociations. Camp David a pourtant permis de lever des tabous. C’est un premier pas important, mais peut-il encore y en avoir d’autres ? Comme le raconte avec un luxe de détails Charles Enderlin, Ehoud Barak a d’ores et déjà décidé d’actionner
le piège redouté par les Palestiniens. Il a imposé sa version du sommet, le refus suspect par Yasser Arafat de propositions «généreuses » dont la réalité est tout autre. Cette version injuste de Camp David porte en elle le deuil de l’avenir. Le chef de l’Autorité croit de son côté avoir évité l’obstacle. Mais tous les deux vont être bientôt pris dans le piège du soulèvement palestinien, dont le lecteur découvrira combien il couvait et combien l’armée israélienne s’y préparait. La suite n’est plus qu’une série d’erreurs tragiques.

Gilles Paris

La Critique de Christophe BOLTANSKI Libération 24 mai 2002
Charles Enderlin raconte comment Israéliens et Palestiniens ont manqué la chance de conclure un accord à Camp David en s'empoignant sur les Lieux saints.

Frères ennemis et dialogue de sourds

Les Palestiniens ont-ils raté leur rendez-vous avec l'histoire ? A force d'être martelé, c'est presque devenu un dogme. Ehud Barak a été le premier à désigner Yasser Arafat comme l'unique responsable de l'échec du sommet de Camp David, en juillet 2000. «On lui a offert un Etat sur la quasi totalité de la Cisjordanie et de la bande de Gaza et il l'a rejeté», répètent depuis les dirigeants israéliens, même les plus hostiles à un compromis territorial. Yasser Arafat a choisi la guerre plutôt que la paix. Une explication sommaire reprise telle quelle par de nombreux commentateurs y compris dans des grands journaux français. Elle aura des conséquences très lourdes. En Israël, elle fera voler en éclat le camp pacifiste et contribuera à la victoire électorale d'Ariel Sharon.

Le principal mérite du livre de Charles Enderlin est de présenter pour la première fois toutes les pièces d'un procès jusque-là non contradictoire. Le correspondant de France 2 a patiemment recueilli le verbatim des négociations et interrogé ses principaux protagonistes. Il raconte comment, en l'absence totale de confiance de part et d'autre, le sommet de Camp David a tourné au dialogue de sourds. Il montre que les Israéliens ont fait une offre autrement moins généreuse qu'ils le prétendent aujourd'hui, et rappelle surtout que la crise du processus de paix n'a pas commencé durant l'été 2000, mais bien avant.
Plutôt que chercher un coupable, il démonte la mécanique d'un échec. Son document presque brut fournit des éléments pour comprendre, plus que pour blâmer. En juillet 2000, le sommet de Camp David oppose deux dirigeants affaiblis qui se vouent une méfiance réciproque. Yasser Arafat s'y rend à reculons, convaincu que les bases d'un compromis n'existent toujours pas. Il soupçonne les Etats-Unis de vouloir lui imposer un accord et a obtenu de Bill Clinton la promesse qu'il ne sera pas tenu responsable d'un éventuel fiasco. Ehud Barak est disposé à accorder aux Palestiniens beaucoup plus qu'aucun de ses prédécesseurs, mais refuse d'abattre ses cartes tant que l'autre partie ne bougera pas. Il refuse tout tête-à-tête avec Yasser Arafat. En pratique, aucun des deux camps ne révélera jusqu'où il est prêt à aller. Ils discuteront le plus souvent d'idées présentées par les Américains sans savoir précisément de qui elles émanent. Les Palestiniens font quelques concessions, mais beaucoup moins que les Israéliens, et se montrent surtout incapables de renchérir ou de saisir les perches tendues par Bill Clinton. Ils estiment avoir fait le plus grand pas en acceptant l'existence d'Israël dans ses frontières de 1967. Ils sont prêts à se contenter de 22 % de l'ancienne Palestine mandataire alors que le plan de partage de l'ONU de 1947 leur accordait deux fois plus. Ils refusent de joindre la compromission au compromis. En définitive, c'est le sacré, et non la terre qui fait capoter les pourparlers. Les deux parties s'empoignent sur la question des lieux saints de Jérusalem, la plus épineuse de toutes. Erreur de jugements et de méthode, quiproquos. Surtout, essoufflement d'un processus.

La confiance qui aurait permis de surmonter ces obstacles n'existe plus après sept ans de promesses non tenues, d'attentats et de colonisation à outrance. «A aucun moment, Arafat ne s'est vu proposer l'Etat palestinien sur plus de 91 % de la Cisjordanie», pas plus que «la souveraineté complète sur les quartiers arabes de Jérusalem et le Harâm al-Charif/mont du Temple», écrit Charles Enderlin, qui au passage détruit l'un des nombreux mythes accolés au sommet de Camp David : «Jamais, comme l'affirmeront certaines organisations juives, les négociateurs palestiniens n'ont exigé le retour en Israël de trois millions de réfugiés. Les chiffres discutés au cours des pourparlers ont varié de quelques centaines à quelques milliers de Palestiniens autorisés revenir. L'Intifada n'a pas été déclenchée par le chef de l'OLP : le patron du Shin Beth, les diplomates américains et Bill Clinton lui-même craignaient une explosion de violence spontanée.»

Ehud Barak désigne Yasser Arafat comme coupable car il se prépare déjà à l'inévitable. Mauvais politique, mais bon militaire, il sait combien il est important dans l'affrontement à venir de réconcilier les Israéliens entre eux et d'obtenir le soutien de la communauté internationale. Il avait accusé son prédécesseur, Benyamin Netanyahou, de n'avoir ni la volonté de faire la paix, ni les moyens de faire la guerre, dans un pays profondément divisé entre faucons et colombes. Son message réducteur va permettre d'unir son peuple et d'isoler l'adversaire. Selon Charles Enderlin, les Américains soutiennent sa version des faits pour l'aider sur le plan intérieur. Les négociations se poursuivent malgré la nouvelle Intifada et l'approche des élections israéliennes. Le livre publie de larges extraits des pourparlers de Taba qui pour la première fois dessinent les contours d'un accord. L'histoire est tragique, comme disait Aron et celle que raconte Charles Enderlin dans son Rêve brisé en est la terrible illustration. Mais en montrant combien en janvier 2001 la paix a été proche, il nous redonne aussi matière à rêver.

La critique de Vincent Fabre http://www.cyberscopie.com

A propos du processus de paix au Proche-Orient, Shimon Pérès déclarera un jour : "la paix est à la fois un combat et un rêve : un combat parce qu'il faut lutter sans relâche pour la rendre possible, et un rêve parce que elle parait toujours inaccessible". Cette phrase du leader travailliste israélien pourrait résumer à elle seule l'ouvrage du journaliste Charles Enderlin. Face à une situation qui semble aujourd'hui de plus en plus inextricable, l'auteur s'interroge : "Que s'est-il passé pour qu'à nouveau le sang coule alors que la paix semblait si proche ?". Une question à laquelle le correspondant permanent de France 2 à Jérusalem depuis 1981 tente de répondre en nous faisant suivre minute par minute les négociations entre Israël et ses voisins arabes. Un jeu fait d'avancée et de reculades, rendu encore plus difficile par un climat de tension, sur fond d'attentats, d'Intifada et d'opérations militaires douteuses. Sans concession pour l'une ou l'autre partie, l'auteur nous livre un frappant témoignage de ce conflit vieux d'à peine un demi-siècle, mais dont les racines plongent au plus profond de l'Histoire.

Bombes humaines contre raids meurtriers. Une litanie sanglante qui est devenue le quotidien du Proche-Orient depuis maintenant plusieurs mois. Sans cesse relancé, le conflit entre Israéliens et Palestiniens semble être pris dans une spirale de violence sans fin. Malgré les tentatives de conciliation des Américains et des Européens, malgré le nombre croissant de victimes, le point de non-retour paraît avoir été atteint.

Qui pourrait imaginer aujourd'hui que la paix était pourtant toute proche ? Qu'il y a encore quelques mois, les deux parties tentaient de renouer un dialogue il est vrai interrompu à de trop nombreuses reprises ? C'est pourtant la preuve qu'apporte le journaliste Charles Enderlin dans son livre au titre évocateur : " Le rêve brisé ". Dans cette " histoire de l'échec du processus de paix au Proche-Orient de 1995 à 2002 ", l'auteur, présent dans la région depuis plus de vingt ans, nous livre un compte-rendu précis des négociations et des retours vers l'affrontement. Dans son précédent ouvrage, " Paix ou guerre, les secrets des négociations israélo-arabes 1917-1997 ", Charles Enderlin revenait sur les difficiles avancés de la paix dans cette région si tourmentée au cours du 20e siècle. La réalité est encore plus dure et amère dans ce " rêve brisé " qui nous décrit un Proche-Orient au bord de l'implosion. Prenant comme point de départ l'assassinat d'Yitzhak Rabin, le 4 novembre 1995, l'auteur nous livre sa sombre prémonition : " j'étais à ce moment persuadé que les négociations, telles qu'elles furent menées après l'assassinat de Rabin, conduiraient à l'échec ". Face à la valse hésitation des négociateurs et aux inquiétudes des opinions, la paix est condamnée d'avance : " La période d'acclimatation à la paix, de développement économique, de relations pacifiques que voulait instaurer Rabin avait tourné au compte à rebours vers une catastrophe annoncée : la tragédie sanglante qui en en ce printemps 2002, déchire le Proche-Orient ".

Pour étayer la véracité de son intuition, l'auteur s'est attelé à une tâche des plus ardues : relater avec précision les négociations Israélo-palestinienne durant cette période. S'appuyant, dans un premier temps, sur les nombreuses notes personnelles des participants, puis en obtenant l'autorisation de réaliser des interviews filmées des principaux négociateurs comme l'israélien Gilead Sher ou le palestinien Saeb Erekat, d'acteurs clés de la scène politique régionale de la Syrie au Liban en passant par l'Egypte, ou encore des émissaires américains tel que Warren Christopher ou Madeleine Albright, il nous livre minute par minute l'évolution de la situation.

Selon Charles Enderlin, des facteurs multiples sont à l'origine de la dérive sanglante du processus de paix. Le premier d'entre eux est évidemment, l'assassinat d'Yitzhak Rabin. Au lendemain de l'enterrement du Premier ministre assassiné, l'inquiétude règne parmi les négociateurs. Parmi eux, Bill Clinton est particulièrement soucieux. Le président américain obtient de Shimon Pérès, Premier ministre par intérim, l'assurance que les promesses d'Yitzhak Rabin soient tenues. Il s'agit pour l'essentiel des accords conclus à Oslo en 1993, et qui viennent de déboucher sur un accord intérimaire signé à Washington. S'il ne résout pas tout, ce document contient alors les grandes lignes d'une issue pacifique au conflit : retrait de l'armée israélienne, arrêt de la construction des colonies en échange de la préservation de celles déjà existantes, constitution d'une capitale palestinienne à l'est de Jérusalem, en dehors des limites municipales de la ville sainte, règlement de la question des réfugiés palestiniens. Un résultat obtenu grâce, déjà, à d'innombrables négociations secrètes entre les deux camps, mais que beaucoup aujourd'hui considère comme mort. Malgré les bonnes intentions de Pérès, le processus engagé à Oslo va en effet peu à peu tomber caduc. Un retour en arrière que n'explique pas seulement la mort d'un de ses principaux initiateurs, mais aussi en partie la problématique instabilité ministérielle en Israël. " Depuis 1993, Yasser Arafat aura négocié avec quatre gouvernements israéliens différents ! " assène d'entrée Charles Enderlin. Un constat qui se vérifie au fil des pages, où l'on découvre l'évolution, souvent négative, du processus de paix au gré des revirements politiques et de manœuvres douteuses de part et d'autres. La première d'entre elles, l'assassinat du terroriste palestinien Yehiah Ayyash par le Shin Beth, en plein processus de retrait de l'armée, et contre l'avis d'un certain nombre de spécialiste, constituera une erreur fatale pour le gouvernement Pérès. Pensant frapper le Hamas durement, il n'obtient qu'une radicalisation du mouvement terroriste. Israël va connaître une nouvelle vague d'attentat, mais surtout la gauche au pouvoir va perdre les élections législatives sur le fil. Il lui aura manqué les voix des arabes israéliens, qui avaient décidé de boycotter les élections.

La droite dure, incarnée par Benjamin Netanyahu et son parti le Likoud, " principaux adversaires du processus de paix " selon l'auteur, et pourtant suspectée d'avoir joué un rôle dans l'assassinat de Rabin, revient ainsi au pouvoir. Signe, prévisible, d'un total revirement de politique, le nouveau gouvernement va revenir sur les promesses passées et faire renaître un climat de forte tension dans la région. Malgré plusieurs rencontres, la plupart à l'initiative des Etats-Unis, la situation est alors au point mort. La tenue d'un sommet extraordinaire à Wye Plantation, dans le Maryland en octobre 1998 est symptomatique : les importants progrès dans les discussions obtenus à cette occasion, notamment grâce à l'intervention du roi Hussein de Jordanie très affaiblie par la maladie, seront largement diminués par l'opposition de la Knesset, l'Assemblée israélienne, dés le retour de Benjamin Netanyahu. Dans la foulée, les députés décideront de l'autodissolution de l'Assemblée, provoquant une crise politique majeure en Israël. Très contesté jusqu'au sein de son gouvernement et même de l'armée, le Premier ministre sortant cède la place le 17 mai 1999 à Ehoud Barak, " le soldat le plus décoré de l'histoire d'Israël " précise l'auteur. Précision utile car bien que travailliste, et enclin à former un gouvernement d'union nationale, Barak est avant tout un produit de l'armée. " Cet ancien chef d'Etat major poursuivra le processus de paix par patriotisme, persuadé que stratégiquement, il y va de l'intérêt supérieur du pays, mais il ne fera aucune concession, ni à Arafat ni à la Syrie, lorsque la sécurité d'Israël sera en jeu " poursuit Charles Enderlin.

Les amis de Rabin, comme Shimon Pérès, sont donc de retour au pouvoir, mais ils doivent aussi le partager avec le Likoud et son nouveau président, Ariel Sharon et le Parti national religieux, qui détient le portefeuille stratégique de la Construction, c'est-à-dire des colonies. Néanmoins, la situation semble meilleure pour le processus de paix. Les discussions reprennent entre les deux leaders et leurs conseillers l'israélien Gilead Sher et le palestinien Saeb Erekat. Les rapports avec les autres partenaires américains et égyptiens, sont également revenus au beau fixe. Une amélioration de courte durée. En fait, toute tentative de conciliation se brisera à cause de la fragilité de la coalition au pouvoir.

La solution semble donc être encore une fois un sommet hors du Proche-Orient. Ce sera Camp David, un lieu hautement symbolique dans la marche du processus de paix. Une décision prise sur l'insistance des Israéliens, qui vont jusqu'à donner la marche à suivre au Américains. De leur côté, les Palestiniens demandent de continuer les négociations en cours avant de se lancer dans un sommet. Le 11 juillet 2000, les deux délégations se retrouvent pourtant pour tenter de mettre au point un accord. Pendant deux semaines, encadrés par les membres de l'administration américaine, coupés de la presse dans le but d'éviter toutes fuites, Israéliens et Palestiniens vont parvenir tout près d'un accord final. Mais la méfiance reste présente, et Ehoud Barak comme Yasser Arafat restent campés sur leurs positions, refusant de se rencontrer en tête à tête. Les conseillers négocient pied à pied chaque point des revendications. La pierre d'achoppement reste encore et toujours Jérusalem-est, et plus précisément l'endroit où se situent l'esplanade des Mosquées et le mur des Lamentations, sur lesquels chacun veut une souveraineté indiscutable. Ehoud Barak, inquiet de voir la droite et Ariel Sharon occuper le terrain médiatique en Israël, tente d'influencer l'opinion en organisant des fuites dans la presse, selon lesquelles il pourrait rentrer les mains vides. Un jeu risqué mais qui peut tourner à l'avantage du Premier ministre, selon Charles Enderlin : " Si le sommet débouche sur un accord historique, l'opinion publique en Israël doit y être prête, dans le cas contraire, l'objectif est double : persuader la communauté internationale que l'échec en incombe à Arafat et éviter la cassure de la société israélienne entre la droite et la gauche, faire en sorte que le camp de la paix en Israël comprenne qu'un accord avec le chef de l'OLP est impossible, puisque tout à été fait pour y parvenir ". " La manipulation de la presse, surtout israélienne, est d'autant plus facile , admet l'auteur, qu'en raison du bouclage hermétique de la résidence présidentielle, l'information passe nécessairement par l'unique ligne de téléphone dont dispose Ehoud Barak ". Le chef de gouvernement israélien parviendra d'ailleurs à ses fins, puisque ce sommet, pourtant décidé sur l'insistance de celui-ci, restera comme un échec imputable aux Palestiniens. L'échec de Camp David, Barak s'y est préparé, analysant les divers scénarios possibles en compagnie de ses conseillers en communication. Ils étaient parvenu à la conclusion qu'il fallait à tout prix rejeter la responsabilité d'un éventuel échec sur Yasser Arafat ". Pourtant, la réalité est différente, Bill Clinton lui-même reconnaissant avoir " fait des progrès sur les principaux dossiers et même, sur nombre d'entre eux, avoir réalisé des progrès substantiels ". Tous savent que les négociations ont jusqu'au 13 septembre, date de l'indépendance de l'Etat palestinien, pour se poursuivre. Durant ce laps de temps Ehoud Barak va tenter de convaincre l'opinion internationale de faire pression sur Arafat, tout en continuant de laisser se construire des colonies dans les territoires occupés. " Aux Palestiniens, à ses ministres de gauche qui protestent, il explique que cette politique d'implantation permet de calmer la droite " explique Charles Enderlin. L'acceptation par l'assemblée palestinienne de repousser la déclaration d'indépendance fait espérer une amélioration du climat.

C'est dans ce contexte qu'intervient, le 28 septembre, la très controversée visite d'Ariel Sharon, désireux de lancer un signe fort à son électorat, sur l'esplanade des Mosquées. Charles Enderlin a réunit de nombreux témoignages " divergents " sur ce qui apparaît aujourd'hui comme un des éléments déclencheurs de la nouvelle Intifada : " Les dirigeants palestiniens ont averti le Premier ministre : la visite de celui qu'ils considèrent comme le bourreau de Sabra et Chatila sur le Harâm al-Charif/Mont du temple fera inévitablement monter la tension. La gauche, elle, parle de provocation intolérable ". Mais rien n'y fait : " entre une énième crise avec les Palestiniens et un nouveau problème de politique intérieure, Barak décide d'autoriser la visite. L'Autorité autonome est priée de faire un effort ". La suite est connue. Cet évènement, certes lié à des circonstances explosives, provoquera une série de réactions en chaîne. Le lendemain de cette visite débuteront de violentes émeutes qui gagneront peu à peu les territoires. Malgré une rencontre à Paris et un sommet à Charm el-Cheikh, le 5 octobre, les affrontements se durcissent. Peu de temps après a lieu, pour la première fois depuis cinq ans, un sommet extraordinaire de la Ligue arabe, qui condamne unanimement Israël. " Vingt-deux pays arabes décident de suspendre toute économique régionale avec Israël, qu'ils accusent d'avoir transformé le processus de paix en une guerre contre le peuple palestinien ". Mais les négociateurs ne baissent pas les bras. Charles Enderlin est ainsi au cœur d'une rencontre entre Saëb Erekat et Yossi Beilin, ministre israélien de la justice. Preuve d'une volonté farouche de ne pas rompre le contact, ce dernier n'hésite pas à aller à l'encontre des consignes de son Premier ministre : " Manifestement, le négociateur palestinien et le ministre ont décidé de contourner l'interdit de Barak. Miguel Moratinos (ndlr : alors secrétaire des Nations Unies) m'appelle quelques minutes plus tard. C'est lui qui a eu l'idée de prétexter des interviews pour organiser une rencontre secrète à France 2, le seul endroit où la présence des intéressés ne suscitera pas la curiosité de la presse. Une heure pus tard, Gilead Sher me contacte. Lui verra Saëb Erekat aux alentour des 18 heures. Beilin ne doit pas être au courant. Celui-ci me déclare : " il y a une réelle incertitude, des craintes des deux côtés. Il faut tenter de comprendre l'autre. En cette fin du mois d'octobre 2000, nous avons deux camps qui on peur l'un de l'autre jusqu'à la mort. Et la peur conduit à la haine. Il est tellement facile d'avoir peur et de haïr… ". De la seconde rencontre, l'auteur ne saura rien, les deux émissaires s'isolant pour une très longue discussion. Les événements, eux, n'attendent pas : bloqué par une coalition gouvernementale des plus fragiles, le Premier ministre israélien voit échouer une énième tentative officielle de négociation. Si les discussions continuent, elle sont de plus en plus difficiles, comme le confirme quelques semaines pus tard à l'auteur le palestinien Saëb Erekat : "Depuis ma rencontre dans le bureau de France 2, je n'ai rencontré aucun négociateur israélien. Nous faisons notre possible, mais nous n'avons même pas d'Etat. Barak devrait s'adresser aux Palestiniens et leur dire : " vous aurez un Etat aux côtés d'Israël. C'est notre objectif ". Les Palestiniens réagiraient en conséquence. "

L'ultime rebondissement sera le fait des Etats-Unis. Bill Clinton, très impliqué dans le processus de paix, veut un accord avant janvier 2001, date de son départ de la Maison-Blanche. Il rencontre les deux chefs d'Etats et obtient un redémarrage officiel des pourparlers. Alors que l'espoir semble une nouvelle fois renaître, la Knesset entérine une loi aux termes de laquelle elle devra approuver toute concession territoriale à Jérusalem par une majorité absolue de 61 députés. C'est la fin de la fragile coalition Barak, qui n'a aucune chance de parvenir à un accord sur Jérusalem. Le Premier ministre décide alors de démissionner, et ainsi affronter Ariel Sharon, adversaire moins dangereux selon lui, que Benjamin Netanyahu. Un jugement erroné selon Charles Enderlin : " La plupart de ses conseillers et les négociateurs considèrent qu'il commet là une erreur : quatre mois seront perdus durant lesquels, peut être, un accord aurait pu être conclu ". De fait, cette période verra les Etats-Unis joués leur va-tout sous la forme du plan de paix le plus avancé qu'il ait été proposé dans cette crise. Il recouvre tout les problèmes, et plus particulièrement celui du Harâm al-Charif/Mont du temple. Malheureusement, ce document arrive trop tard, au grand regret des négociateurs telles que Israël Hasson, qui lancera aux Américains " Pourquoi si tard ? Tout aurait pu être différent si vous aviez soumis cette proposition en septembre ou à Camp David ". Toutes les discussions qui suivront ne déboucheront sur aucun accord. Le 2 février 2001, Ariel Sharon est élu premier ministre. " Totalement soutenu par l'armée et une opinion publique excédée par l'insécurité et le terrorisme, le nouveau Premier ministre a déclenché une guerre encore plus dure contre les organisations palestiniennes, avec pour principal objectif l'Autorité Palestinienne ". C'est avec cette date, alors que le processus de paix semble définitivement mort et que la région sombre un peu plus dans le chaos, que l'auteur clôture son livre.

Par son enquête d'un grande qualité, Charles Enderlin aura permis aux lecteurs de mieux comprendre non seulement les raisons de l'échec du processus de paix, mais aussi et surtout le trame inextricable qui constitue le chemin vers la fin de la guerre au Proche-Orient. Entre manœuvre politique et choix de la paix, beaucoup n'ont pas voulu trancher. Sept ans après la mort de celui qui avait redonné l'espoir, le constat est amer et le jugement sans appel : Pour ne pas avoir compris que la paix doit se faire d'abord entre les nations et non uniquement entre les dirigeants, le peace team américain et les négociateurs des deux camps ont conduit le Proche Orient vers l'enfer. Par la faute des uns et les erreurs de jugements des autres, l'instauration d'un climat de méfiance a conduit à l'effondrement du processus de paix. Le conflit entre Israéliens et Palestiniens est redevenu un facteur d'instabilité régionale. C'est l'échec d'une politique, d'une diplomatie, d'une vision du monde ".