Depuis le dimanche 8 octobre, 17 incendies ravagent le nord-ouest de la Californie. Lise et Jules Marquis, un couple originaire de l'est de la France, ont posé leurs valises à Santa Rosa en mars dernier, l'une des agglomérations les plus touchées par les flammes. Récit de la nuit où la ville s'est embrasée.
Il est 3h30, lundi matin, lorsque Jules et Lise entendent frapper à la porte de leur chambre. Leur colocataire Matt les informe qu'ils doivent évacuer le secteur au plus vite. Les yeux encore mi-clos, les deux Français peinent à comprendre l'urgence de la situation. "Lorsque qu'on est descendus dans le salon, on a vu les affaires de nos colocs. Là, on a compris qu'il se passait quelque chose", raconte le jeune homme de 25 ans, originaire des Vosges.
Dans la précipitation, chaque occupant de la maison emporte à la hâte ses objets les plus précieux. Tandis que Matt et Krista sauvent leur arme à feu ainsi que leurs deux chats - enroulés dans des draps faute de caisse de transport -, Jacob empoigne ses trois fusils de chasse, sa canne à pêche et son chien. "Je regrette de ne pas avoir pris une photo de la scène. On a tellement ri avec ma femme, se remémore Jules encore amusé. Le décalage culturel avec les Américains était visible. C'est bizarre les réactions qu'on peut avoir dans ce genre de situations".
À leur tour, les deux expatriés jettent dans un sac, au hasard, un livre, une couverture, de l'eau et des céréales. Dans le quartier, les voisins chargent les voitures en vitesse avant de prendre la route en direction de l'est et du sud de Santa Rosa. Sacramento (à l'est) et San Francisco (au sud) se situent respectivement à 2h00 et 1h30 de conduite. Avant d'abandonner leur foyer, certains habitants arrosent les pelouses et les façades des maisons, en espérant que cela sera suffisant pour repousser les flammes.
Le feu à 1 kilomètre
Sur la colline adjacente à la ville se dresse un mur de feu. Le ciel, ordinairement sombre à cette heure matinale, est devenu orange et opaque sous l'effet de la fumée. "Le feu était à un kilomètre de notre maison. C'était impressionnant. Beau, mais impressionnant" confie Jules. On entendait même les craquements des arbres qui tombaient sous le poids des flammes. Mais on ne se sentait pas menacés car les incendies partaient dans la direction opposée".
Sur les conseils de sa tante, expatriée à Washington DC, Jules et son épouse regagnent leur domicile pour faire leurs valises. Arrivé aux États-Unis en mars dernier, le couple n'a que très peu d'affaires : "Appareil photo, ordinateur, passeports, vêtements et raquettes de badminton. Ça va vite de rassembler tout ce qu'on a. Et comme on vit en colocation, on n'a pas de meubles. Tout tient dans deux valises."
La circulation paralysée
Les deux Français mettent les bagages dans le coffre de la voiture et prennent eux-aussi la route. Mais ils sont rapidement bloqués dans les embouteillages, à une centaine de mètres à peine de leur logement. Au terme de trente minutes d'immobilité, le couple décide de rebrousser chemin, et rejoint la poignée de voisins encore présents. Parmi eux, Ted, est interloqué par la situation. N'ayant reçu aucun ordre d'évacuation, le quinquagénaire s'est réveillé au son strident des sirènes de pompiers.
Lise et Jules veillent jusqu'au petit matin. Vers 7h00, ils s'accordent enfin un peu de repos, en prenant soin, tout de même, de programmer une alarme. "Même si on ne se sentait pas en danger, on voulait s'assurer que les flammes s'étaient bien éloignées", détaille le Vosgien. Faute d'électricité dans le quartier, le couple trouve refuge chez un collègue de Lise durant l'après-midi. Ils y rechargent les téléphones portables pour rassurer leurs familles inquiètes en France.
Depuis lundi soir et jusqu'à aujourd'hui (mercredi), à la nuit tombée, les deux Français campent dans leur maison à l'aide de lampes torche et d'un réchaud. Au menu : des pâtes et du pain frais, directement rapporté de la boulangerie dans laquelle travaille Jules. "Avec Lise, on adore le camping et surtout on préfère rire de la situation" ironise-t-il. Le couple se tient prêt à partir à tout moment. Le vent doit s'intensifier en fin de semaine et pourrait attiser les foyers incandescents.
Yelen Bonhomme-Allard