Le sénateur libertaire du Kentucky et candidat à la primaire républicaine Rand Paul s'est distingué cette semaine par un discours de plus de 10 heures à la tribune du Sénat, lors des discussions sur le renouvellement du Patriot Act.
Rand Paul n'avait pas réellement 10 heures d'idées à exposer sur le programme d'espionnage domestique du gouvernement américain. Il s'agissait d'un « filibuster », un mot qui en anglais recouvre l'ensemble des techniques d'obstruction parlementaire.
Le filibuster à l'américaine se déroule au Sénat et profite d'un vieux règlement. Au nom de la liberté d'expression, il est interdit d'interrompre le discours d'un orateur de la chambre haute. Un sénateur déterminé peut donc à lui seul ralentir considérablement le vote d'un texte. Mieux, un petit groupes de sénateur peut bloquer n'importe quel texte en se rendant indéfiniment la parole.
Le filibuster individuel est essentiellement une mesure symbolique, puisqu'il suffit d'attendre que l'orateur s'épuise pour voter une loi (le record de longévité est détenu par Strom Thurmond depuis 1957, avec un filibuster individuel de 24 heures et 18 minutes pendant lequel il a pu lire la totalité du Code pénal américain).
En revanche, un filibuster collectif peut sérieusement mettre un texte en péril. Il n'existe qu'une seule mesure capable de l'interrompre: le vote de clôture. Le speaker du Sénat peut, à n'importe quel moment, interrompre les débats à la chambre. Problème: Un tel vote nécessite une majorité de 60%, quasiment inatteignable dans l'état actuel du Sénat (46 démocrates pour 54 républicains). Le filibuster est devenu l'option nucléaire (« nuclear option ») d'une opposition qui veut forcer la majorité à des compromis.
Le filibuster existe aussi en France, sous une forme différente : le dépôt de plusieurs milliers d'amendements pour ralentir le processus parlementaire. Une technique assez facile à contrer, grâce aux l'article 49-3 (la loi passe en l'état si l'Assemblée ne vote pas de motion de défiance) ou l'article 44-3 (le gouvernement demande un vote global sur tous les amendements proposés par les députés) de la Constitution.
Le mot filibuster provient indirectement du flamand vrijbuister, qui désignait les pirates et corsaires qui sévissaient sur toutes les mers du globe. Le mot est passé par l'espagnol « filibustero » avant d'entrer dans le vocabulaire militaire américain. Il désignait des expéditions maritimes ou terrestres officieuses - une vieille tradition américaine en Amérique latine - avant ces opérations de piraterie au Sénat. En français, vrijbuister est devenu « flibuste ».