"Enfin un domaine dans lequel on bat les Chinois", grince un collègue indien. La nouvelle est passée quasiment inaperçue, mais l'Inde est en effet détentrice d'un sombre record : selon plusieurs études scientifiques New Delhi arrive en tête des villes les plus polluées au monde, devant Pékin, Le Caire ou Mexico. L'air de la capitale indienne est officiellement le plus dangereux de la planète.
(photo prise par @PierreMonegier le 5 janvier 2014 à New Delhi)
Ce n'est pas une surprise pour les Delhiites. Ces jours-ci, un épais brouillard recouvre la ville. Le "fog" est si dense qu'il perturbe tous les transports. Le 5 janvier dernier, après avoir roulé au pas en taxi sur plus de 3 kilomètres (cf photo), nous avons fini par passer la nuit à l'aéroport et raté un départ en tournage pour la première fois (!) : tous les vols en partance et à destination de Delhi étaient annulés.
Particules tueuses
Certains - y compris dans l'administration - prétendent encore parfois qu'il s'agit d'un "simple phénomène climatique", inoffensif. Mais les centres de recherches privés, les organismes gouvernementaux chargés de mesurer la qualité de l'air, et les ambassades étrangères qui disposent de leurs propres capteurs arrivent tous à la même conclusion : ce nuage est chargé de particules PM 2.5, les plus dangereuses.
Il s'agit de fines particules (2,5 micromètres de diamètre), qui pénètrent au plus profond des poumons. Elles sont responsables d'inflammations respiratoires chroniques, de différents types de cancers mais aussi plus globalement synonymes de capacités pulmonaires réduites pour l'ensemble de la population. Leur origine : l'industrie, mais aussi et surtout le développement massif et débridé du parc automobile.
Un problème sous-estimé
Selon un spécialiste cité par le correspondant du New York Times à Delhi, en Inde une visite chez le médecin sur deux serait liée à une maladie respiratoire. L'asthme tue ici comme nulle part ailleurs, et le pays détient un autre triste record : le taux de décès liés à des infections respiratoires y est le plus élevé au monde. Mais à la différence de la Chine, l'Inde ne semble pas avoir pris la mesure de ce problème de santé publique.
L'introduction massive de voitures roulant au CNG (gaz comprimé) au début des années 2000 a simplement retardé l'asphyxie. On rêvait alors d'un "Clean Delhi, green Delhi" comme le proclament encore les affiches gouvernementales. De fait aujourd'hui, la quasi totalité des taxis et auto-rickshaws roulent au gaz. Une politique volontariste unanimement saluée. Sauf que depuis, le parc automobile "classique" a explosé.
L'environnement est quasi absent des préoccupations du nouveau gouvernement de Delhi tout comme des principaux candidats aux élections législatives de 2014. Pourtant, au rythme où progresse l'urbanisation du sous-continent, d'autres mégalopoles indiennes risquent de rejoindre New Delhi dans ce sinistre "top 10" des villes les plus polluées. A terme, la pollution pourrait ainsi devenir la 1ère cause de mortalité en Inde.
Pierre Monégier