Deux équipes impossible à distinguer, une mêlée géante, plusieurs milliers de joueurs vociférants, un ballon qu'on ne voit quasiment jamais... Voici le Shrovetide, le match de football géant qui se déroule chaque année dans les rues de la petite ville de Ashbourne dans le nord de l'Angleterre, disputé depuis le 12ème siècle, et qui dure 2 jours nuit comprise...
Regardez ci-dessous le reportage du bureau de France 2 Londres en direct de la cohue:
Après un 'God Save the Queen' de rigueur entonné collectivement, le comité officiel énonce quelques règles de base à respecter. Les cimetières et les jardins sont interdits, ainsi que le meurtre (règle qu'il convenait de rappeler autrefois, plus communément admise aujourd'hui...) Dans ce jeu quasi millénaire, la partie haute affronte la partie basse de la ville et pas moins de cinq kilomètres séparent les buts. La légende raconte qu'à l'origine une tête fraichement coupée d'un condamné à mort servait de ballon.
Mis à part ça, tout est permis. Le ballon est ensuite lancé dans la foule sans plus de cérémonie. Un premier rebond puis il disparaît. Ses rares apparitions tout au long du jeu déclencheront des hurlements mêlées de terreur et d'excitation.
Lorsqu'elle s'engouffre dans les rues étroites de Ashbourne, la masse des joueurs s'apparente à un raz-de-marée grouillant et hurlant dont on ne distingue jamais vraiment les contours. En quelques secondes, la rumeur sourde se transforme en bruit assourdissant. Les passants s'enfuient ou se cachent dans les rues adjacentes. Les plus téméraires ou ceux qui se retrouvent pris au piège se collent contre les murs ou montent sur les barrières qui protègent les vitrines.
Puis, pendant plusieurs minutes, toute la foule se balance comme une vague au rythme du ballon invisible passant d'un camp à l'autre. Au milieu, une rivière glacée est l'espace de tous les dangers. Chaque passe y est décisive et les joueurs y pataugent pendant un bon moment avant que l'étau ne se desserre autour de la balle.
Tout le monde peut jouer au Shrovetide, mais dans la pratique, il faut avoir un certain indice de masse musculaire ou une petite pratique du rugby pour oser se jeter dans la nasse effrayante des joueurs vociférants.
Si l'on s'approche de trop près l'odeur de transpiration et de chaleur corporelle corsée prend aussitôt au nez. Le spectateur un peu trop curieux s'attend d'ailleurs à être bousculé puis piétiné (et achevé dans la boue) mais c'est tout l'inverse qui se produit. Les joueurs vous évitent autant qu'ils peuvent si vous ne souhaitez pas faire partie du jeu. Un respect total (et un fair play sans doute hérité du rugby) qui explique sûrement pourquoi le Shrovetide existe depuis si longtemps. Malgré l'ambiance sauvage jetée dans la ville, le Shrovetide n'a en effet jamais été annulé et ne compte pas, semble t-il, de débordements graves ces dernières années.
Le match est long, très long, puisque qu'il s'étend sur deux jours et une partie de la nuit. Actuellement, la première "mi-temps" le premier jour s'achève à 22h, avant de reprendre le lendemain.
Dans l'histoire de ce jeu il y a eu beaucoup de matchs et peu de gagnants notamment en raison de l'ampleur du terrain. Impossible, évidemment, de marquer au pied. C'est à celui qui frappera trois fois la balle contre le muret de son camp que la gloire éternelle revient. Car marquer à Shrovetide, c'est un peu l'accomplissement d'une vie.
Inês Fressynet avec Loïc de La Mornais