Le patrimoine architectural anglais en danger

Park Hill flats, Sheffield, Angleterre. 1957-1961. Crédit: Christopher Thomond pour the Guardian

David Cameron a diffusé un communiqué dans lequel il accuse l'architecture dite "brutaliste" des immeubles d'après-guerre d'encourager la délinquance et le trafic de drogue. Il souhaite leur démolition et investir 140 millions de livres dans la "régénération" de ces résidences sociales situées dans les grandes villes anglaises. Un souhait qui déplaît aux architectes, préoccupés par la sauvegarde du patrimoine, le Brutalisme étant un genre architectural né en Angleterre. Enquête.

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Trellick Tower, Kensington, Londres. 1967-1972. Architecte: Ernö Goldfinger

Dans ce communiqué sur la sécurité nationale publié le 10 Janvier, David Cameron s'exprimait au sujet des logements situés dans les immeubles d'après-guerre. Ces bâtiments en béton qui se caractérisent par des formes anguleuses et répétitives, favorisent selon lui le développement du communautarisme et la violence.

"But step outside in the worst estates, and you’re confronted by concrete slabs dropped from on high, brutal high-rise towers and dark alleyways that are a gift to criminals and drug dealers. The police often talk about the importance of designing out crime, but these estates actually designed it in".

"Dans les pires lotissements vous êtes confronté aux dalles et murs de béton, à la brutalité de tours vertigineuses et aux allées sombres, du pain béni pour les criminels et les trafiquants de drogue. La police parle souvent du rôle de l'urbanisme dans la criminalité; ces habitations ont été conçues pour l'encourager".

Problème: ces bâtiments sont considérés comme les vestiges d'une époque disparue. Celle des années 1950-1970 marquées par la volonté de certains architectes britanniques de reconstruire un monde plus juste et égalitaire après la deuxième guerre mondiale. Ces hautes tours et blocs de béton, caractérisés par une grande symétrie, en seraient l'incarnation "brute".  Le Brutalisme aurait donc assez peu à voir avec la brutalité contrairement à ce que le terme laisse penser.

Et le débat est vif. Plusieurs de ces immeubles ont été détruits malgré la désapprobation d'architectes qui apprécient l'intérêt historique qu'ils représentent. Le Robin Hood Gardens par exemple dans l'Est de Londres, érigé en 1972, d'après les plans du duo Alison et Peter Smithson a été démoli malgré une campagne soutenue par des stars de l'architecture comme Richard Rogers et Zaha Hadid (tous deux récompensés par le prix Pritzker, équivalent du prix Nobel en architecture). Leurs arguments: ces 213 appartements spacieux avaient le potentiel pour être réaménagés plutôt que détruits, et l'intérêt croissant du public pour l'architecture "sociale".

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Barbican, City, Londres, 1982. Architectes: Chamberlin, Powell & Bon.

En effet, il y a à peine quelques mois, une exposition d'envergure organisée par le National Trust était consacrée au brutalisme. "Brutal Utopias" proposait un circuit des bâtiments londoniens les plus représentatifs du genre, dont la plupart se trouve vers Southbank Centre, sur les rives de la Tamise, comme la salle de concert Queen Elizabeth Hall, le Purcell Room et la Hayward Gallery; mais aussi, Park Hill Flats à Sheffield ou encore l'imposant lieu d'exposition Barbican dont la réputation n'est plus à faire.

Joseph Waston, directeur artistique de l'exposition, se confiait au Guardian en septembre dernier au sujet des controverses entourant le brutalisme.

"It is not very long ago that many people had the same views about Victorian architecture ... a generation spoke of ‘Victorian monstrosities’ and systematically worked to erase that era in built form. We are now in danger of doing the same with brutalism.”

"Il n'y a pas si longtemps, beaucoup de gens avaient ce genre d'opinion négative au sujet de l'architecture Victorienne... toute une génération évoquait les "monstruosités victoriennes" et oeuvrait à détruire systématiquement toute trace architecturale de cette époque. Nous somme aujourd'hui confronté à ce même danger avec le brutalisme". 

Une centaine de bâtiment sont visés aujourd'hui par David Cameron. Les contestations continuent et participent d'un débat plus large portant sur la difficulté d'accéder à des logements abordables dans le centre de Londres. Si les bâtiments brutalistes abritants des lieux de culture semblent s'insérer paisiblement dans l'architecture de la capitale, le sort des complexes immobiliers reprenant la même esthétique semble être un enjeu majeur de notre époque.

Nos sources:

Estate Regeneration : le communiqué de David Cameron

Un très bon guide du Brutalisme (en anglais) 

L'exposition Brutal Utopias (en anglais)

Inês Fressynet avec Loic de la Mornais