Chacun a bien compris désormais, que nos banquiers centraux s’adonnent parfois, à la chose politique. Comment les blâmer, puisque nos grands dirigeants européens ne montrent plus la voie…
Je me souviens du sommet européen homérique (mai 1998), qui avait nommé à la tête de cette nouvelle « institution indépendante » baptisé banque centrale européenne, un banquier réputé. Telle la chèvre de Monsieur Seguin, Jacques Chirac s’était battu seul contre tous pour imposer son poulain : Jean-Claude Trichet. Au petit matin, le premier président désigné de la BCE fut le néerlandais Wim Duisenberg. Combat épique, mais pour la France, message clair : symboliquement, la création d’une nouvelle institution en Europe, relève, procède du pouvoir politique. Peu attachés à la notion d’indépendance, les hommes politiques français n’ont jamais oublié cet épisode.
Depuis, la BCE a tracé son chemin, fait ses preuves et dans la tourmente de la première crise grecque en 2010, contribué à sauver l’euro. Le « grand bazooka de Monsieur Draghi », décision politique aussi, mis en œuvre récemment, a démontré à nouveau, que la BCE était un joueur global, le seul capable d’impressionner les marchés. Pourtant, dans le feuilleton Syriza, la BCE vient de prouver, qu’elle n’a pas le sens du tempo politique. Résumé rapide : à Bercy, dimanche 1er février, Yanis Varoufakis, le nouveau ministre des finances grec tient un discours de compromis sur la dette, et fixe comme date butoir fin juin, pour un accord complet avec ses partenaires européens.
Au passage, il rend hommage à Draghi et répète plusieurs fois, que la BCE est aussi la banque de la Grèce. Londres, Bruxelles, Paris, Berlin, les déplacements se succèdent avec un leitmotiv « laissez nous un peu de temps, nous pouvons nous entendre ». Bref, en apparence, l’atmosphère est à l’apaisement. Et soudain, le mercredi 4 février au soir, la BCE décide de fermer l’un de ses robinets à liquidités… Une mesure qui, de facto, resserre et contraint le calendrier. Pour employer une métaphore footballistique, lors de la première mi-temps, la BCE procède déjà aux tirs au but, marque le premier penalty et prend l’avantage psychologique sur le goal adverse.
Récemment, au cours d’un déjeuner un député français du PPE me disait : « la Grèce, surtout on en parle pas ». Sous-entendu : ils nous embêtent depuis trop longtemps ! Oui, mais quoique l’on pense du discours de Syriza (démagogique ou non), de leurs premières annonces (augmentation des pensions, fin des privatisations, réintégration de 3000 fonctionnaires) ce nouveau gouvernement élu, renvoie aux Européens, comme un boomerang, la question de la démocratie dans le système institutionnel actuel. Que faisons nous ensemble, qu’est-ce qui nous lie, nos traités, n’en déplaisent à Jean-Claude Juncker, sont-ils vraiment supérieurs à l’expression démocratique ? Et surtout, au delà des clivages idéologiques, faut-il souhaiter l’échec de Syriza ? Aujourd’hui, cette coalition est composée de 30% de forces anti-européennes, qui bon gré, mal gré, se sont ralliés à la ligne modérée Tsipras/Varoufakis.
Si le bateau Syriza devait se fracasser sur les écueils du réel, que feront les naufragés ? Partout, en Europe, les partis anti-européens marquent des points. Cela, nos dirigeants politiques en ont conscience, même si leurs réponses sont insuffisantes. La BCE elle, est à la manœuvre, sur une ligne orthodoxe mais autiste. Elle joue, à contre pied et à contre temps.
Pascal Verdeau