Le plan de relance européen en six questions

“Inédit”, “massif”, “nouveau souffle à l’Europe” : les superlatifs ne manquent pas pour qualifier le plan de relance européen qui est débattu ce 19 juin lors du Conseil européen, qui se tient une fois encore par visioconférence. Objectif : relancer l’économie des Vingt-Sept après la crise du coronavirus en injectant massivement des fonds. Pas moins de 750 milliards ! Mais si tous les pays s’accordent pour proposer une réponse commune, les négociations s’annoncent complexes, et illustrent à merveille les divergences de doctrines entre les pays de l’Union Européenne.

Les discussions risquent de prendre du temps pour mettre d’accord tous les chefs d’Etats et de gouvernements. Une véritable course contre la montre puisque la récession menace de nombreux pays, principalement les plus touchés par la crise. L’Allemagne et la France, moteurs s’il en est de ce projet, pressent leurs homologues à accélérer le pas. Six questions que vous vous posez peut-être autour de ce plan de relance, inédit sur bien des formes.

Pourquoi un plan de relance européen maintenant ?

Si la plupart des pays européens ont dépensé sans compter pour atténuer les effets de la crise économique, conséquence directe de la pandémie de Coronavirus, force est de constater que l’ampleur de la crise nécessite une réponse au moins aussi massive. C’est dans ce cadre que la Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen a proposé le 27 mai d’apporter une réponse commune de l’Union Européenne, en suggérant un plan de relance, le “Next generation UE” de 750 milliards d’euros. Il serait intégré au budget européen, 2021-2027, appelé le “cadre financier pluriannuel”.

Que contient ce plan de relance ?

Ce plan d’investissement massif est basé sur trois piliers. Le premier, le plus important a pour objectif de soutenir les Etats membres, en matière d’investissement et de réformes. Pas moins de 650 milliards d’euros seront alloués à soutenir les pays les plus touchés par la crise dans la reprise économique et leur “résilience” post-épidémique. Le second pilier concerne la relance de l’économie et le soutien aux investissements privés. Ainsi, 56.3 milliards d’euros seront alloués au soutien des entreprises, à leur solvabilité et à leurs investissements. Enfin, le troisième pilier, sobrement intitulé “tirer les enseignements de la crise” visera à soutenir les dépenses de santé, de recherche scientifique et l’aide humanitaire. Selon les premières propositions de la Commission, 38.7 milliards seront alloués à cette enveloppe.

Comment financer ce plan de relance ?

C’est la grande nouveauté. Pour financer le plan de relance, la Commission suggère d’émettre une dette commune et mutualisée à tous les pays de l’Union Européenne. La capacité de l’UE à rembourser de la dette (portée par la bonne solvabilité de la France et de l’Allemagne) donne à l’UE la note maximale sur les marchés financiers, “AAA”, lui garantissant ainsi des conditions de remboursement des plus avantageuses. Cet emprunt permettra à des pays à faible solvabilité de bénéficier des mêmes conditions d’emprunt.

La question qui risque de faire débat, c’est celle du remboursement de cette dette. Trois solutions sont sur la table : une hausse des contributions de chaque Etat au budget de l'UE, une baisse des dépenses, ou alors l’émission d’impôts, à l’échelle européenne. Ces impôts pourraient prendre la forme d’une taxe numérique, sur le CO2, ou encore d’un prélèvement sur les plastiques non-réutilisables : à ce stade, toutes les solutions sont envisagées. Mais rien ne presse puisque l’Europe ne serait obligée de rembourser cet emprunt qu’à partir de 2028.

Qui bénéficiera de cet argent, et sous quelle forme ?

L’objectif est toujours de venir en aide aux pays les plus touchés par le Coronavirus. En l'occurrence, l’Italie, l’Espagne et la Pologne obtiendraient à eux seuls plus de la moitié des fonds alloués. La France, fortement frappée par la crise arrive en quatrième position. En outre, l’ensemble des Vingt-Sept bénéficiera d’une enveloppe. Son montant correspondra à ses besoins.

Cet argent sera distribué de deux façons. 500 milliards d’euros, soit les deux tiers du plan de relance seront reversés aux Etats membres sous la forme de subventions. Ca veut dire qu’ils n’auront pas, à titre personnel, à rembourser cet argent à l’UE. L’autre partie, soit environ 250 milliards d’Euros seront alloués sous la forme de prêts, et seront donc sujets à un remboursement ultérieur de la part des pays bénéficiaires.

 

Quelles seront les conditions d’octroi de ces prêts et subventions ?

C’est l’un des point majeurs de la discussion. Certains pays, partisans de la rigueur budgétaire souhaiteraient que le versement de l’argent soit conditionné à des réformes. Selon ces pays du Nord, les bénéficiaires devraient présenter un programme de réformes jusqu’en 2024.

Pour l’Espagne, l’Italie ou encore l’Irlande, cette option n’est pas envisageable. Ils refusent d’être “mis sous tutelle” par la Commission, et craignent des conditions drastiques comme celles exigées à la Grèce dans le cadre du Mécanisme Européen de Solidarité. Quoi qu’il en soit, ces aides seront versées par tranche, et feront l’objet d’un réexamen chaque année.

Quelles sont les oppositions au sein de l’Union Européenne ?

La négociation de ce plan de relance réveille de vieilles tensions, notamment entre le Nord et le Sud. D’un côté, il y a ce qui se surnomment eux-mêmes “les frugaux” : l’Autriche, les Pays-Bas, le Danemark et la Suède. Ils prônent une “orthodoxie budgétaire”, c’est à dire une rigueur des dépenses et des budgets des pays de l’Union. Ils sont traditionnellement opposés à l’idée d’une Europe plus intégrée et n’accepteront pas ce plan de relance, sans une sérieuse contrepartie.

Les Pays du Sud, l’Espagne et l’Italie ont été les plus touchés par la crise, et prônent donc une accélération des négociations. Ils seront attentifs à ce que l’aide ne soit pas conditionnée à des directives de l’Union trop exigeantes, qui remettraient en cause leur souveraineté économique.

Les Pays de l’Est seront quant à eux attentifs à ne pas être lésés par ce plan de relance. Car si la Pologne s’en tire à bon compte, la Hongrie a déjà fait part de sa franche opposition à ce plan de relance… du moins dans sa forme actuelle. Ces pays bénéficient d'une manne d'argent importante de l'UE, sous forme de "fonds de cohésion", et craignent que les subventions du Plan de relance se fassent au détriment de ces fonds.

Enfin, les Allemands (jusqu'à peu dans le camp des frugaux) et les Français joueront le rôle des arbitres. L’occasion de relancer le couple historique européen.