TURQUIE/UE : Erdogan joue avec les nerfs de l’UE

C’est un bras de fer et une guerre des nerfs qui s’intensifient ces derniers jours entre Ankara et Bruxelles. « La balle est maintenant clairement dans le camp de la Turquie. Il est temps qu’Ankara nous dise ce qu’elle veut vraiment », affirmait Johannes Hahn, commissaire européen à l’élargissement. À  savoir : continuer les discussions sur le processus d’adhésion à l’UE, ou laisser les relations diplomatiques se dégrader. L’UE s’inquiète en effet de la situation politique en Turquie. Depuis le coup d’état de juillet dernier, des purges massives se multiplient dans l’administration, les médias, ou l’opposition politique. Pire, Erdogan envisage de rétablir la peine de mort.

Du côté d’Ankara, même son de cloche. Dans un entretien au quotidien Hürriyet, Reccep Tayip Erdogan interpellait Bruxelles : « L’Union européenne cherche à nous contraindre à nous retirer du processus (d’adhésion). S’ils ne veulent pas de nous, qu’ils le fassent clairement savoir, qu’ils prennent la décision ». Surtout que le président turc ne se lasse pas de faire comprendre que la Turquie peut se passer de l’UE. Il a récemment menacé de suivre l’exemple du Brexit en appelant le peuple turc à se prononcer sur l’adhésion à l’UE par référendum.

Une position compliquée pour l’UE

Voilà plus de 10 ans que le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE est enclenché, celui-ci semble plus que jamais dans l’impasse. Alors que la répression s’alourdit dans le pays, Erdogan maintient son référendum prévu au printemps 2017 sur l’instauration d’un régime présidentiel. Et fin octobre, il a proposé de soumettre le rétablissement de la peine de mort au vote du Parlement, une ligne rouge pour Bruxelles. Une telle mesure violerait la convention européenne des droits de l’homme, que la Turquie a pourtant ratifié, et irait contre les « acquis communautaires » nécessaire à l’adhésion à l’UE. La peine de mort avait en effet été abolie en 2004 pour permettre à Ankara d’entamer le processus.

Toutefois une prise de position ferme de l’UE vis-à-vis de la Turquie apparaît compliquée pour l’heure. Pour certains diplomates, impossible de rompre le dialogue. « Il faut que l’on reste en contact avec les autorités turques pour dénoncer cet état des choses qui est indigne d’un pays qui veut devenir membre de l’UE », affirmait le ministre luxembourgeois Jean Asselborn lundi 14 novembre, à l’occasion d’une réunion des ministres des affaires étrangères au Conseil. D’autant plus que remettre en cause le processus d’adhésion n’est pas si évident. Dans les principes qui encadrent les négociations, aucun ne prévoit la levée du statut de candidat. Seul un mécanisme de suspension des négociations en cas de « violations graves et persistantes » des principes démocratiques fondamentaux est possible. Et celui-ci reste de l’initiative de la Commission ou d’un tiers des pays membres. Pour que la Turquie perde le statut de candidat, les Etats membres devraient voter à l’unanimité.

Seule l’Autriche prend position

Cela n’est pas prêt d’arriver compte tenu de réticences de certains pays comme la Grèce et la Bulgarie qui misent sur la Turquie pour faire face à la crise migratoire, bien que l’accord conclu en mars dernier ne présente pas les résultats attendus. Seule l’Autriche actuellement veut mettre un terme aux négociations et émet des doutes sur la coopération avec les autorités turques. Début novembre, le ministre de la Défense autrichien, Hans Peter Doskozil, revenait sur l’accord sur les réfugiés et consultait déjà ses homologues  des Balkans pour prendre une décision en cas de rupture avec Ankara. Erdogan critique quant à lui l’ « honnêteté » des dirigeants européens, attendant toujours de l’UE qu’elle  lève les visas pour les Turcs, l’une des contreparties prévues dans l’accord.

Couper les ponts avec la Turquie reviendrait aussi à mettre en suspens la normalisation des relations entre Chypre et la Turquie  et également à se mettre à dos un allié de taille au sein de l’Otan dans la lutte contre l’Etat islamique. Certains Etats comme l’Allemagne redoutent de s’aliéner une partie de la population d’origine turque.

L’Union européenne devra tout de même choisir quelle attitude adopter vis-à-vis d’Ankara. Jeudi, une manifestation de plusieurs milliers de personnes parcourait les rues de Bruxelles à l’appel de l’opposition pro-kurde et appelait l’UE à se prononcer.

Reste à savoir quelle ligne rouge Ankara devra franchir pour que l’UE en vienne à geler ses relations avec la Turquie.

 

M. Berthomé & V. Lerouge