Go Home

19h. Jair Bolsonaro est élu président de la république brésilienne. Devant chez lui dans le cossu quartier de Barra da Tijuca, sur l'avenue qui longe la plage, les pétards résonnent dans le ciel. Les cris de joie, les drapeaux brandis, les chants anti communistes "Notre drapeau ne sera jamais rouge" crient-ils en coeur. La foule s'amasse, compacte. Il y a là des groupes d’amis, des familles entières, le papa posant fièrement en selfie avec ses enfants qui lèvent leur petits pouces en forme d'arme, signe fétiche du candidat d'extrême droite, favorable à la légalisation du port d'arme.

 

Petit à petit notre campement médiatique de fortune doit déménager, grignoté par la foule.
Les journalistes du monde entier sont autour de nous, la radio américaine, la télé portugaise, arabe, d'autres chaînes françaises.... et ma collègue envoyée spéciale de France 2, qui nous a rejoint avec son journaliste reporter d’image et son monteur.
La 4G peine, mais la liaison pour les directs tient...
A la nuit tombée, la foule imbibée d'alcool se fait plus pressente... les électeurs de Jair Bolsonaro on une dent contre les médias nationaux, qu'ils aiment affubler du surnom "Globo lixo", "Globo poubelle".
Un groupe particulièrement animé nous entoure, à chaque direct qu'un correspondant commence, ils sont attirés par le spot de lumière comme des papillons de nuit. Les cris se font plus violents, ma collègue de France 2 ne parlant pas portugais essait tant bien que mal de contenir leur émotion, du moins le temps de s'exprimer en direct sur l'antenne.

Une femme plus âgée semble haranguer le groupe. Elle donne le ton: "on va aller les secouer ces journalistes!". Je tente une approche, poliment, en portugais, mais elle fait mine de ne rien entendre. Je passe à l'antenne dans 2 minutes et les manifestants commencent à me pousser, à passer entre moi et la caméra. Brushing blond au vent, une autre femme filme la scène avec son smartphone, sourire aux lèvres, passant devant nous, manifestement contente de nous gêner, l'objectif de son téléphone presque devant notre caméra à quelques secondes de l'antenne. "S'il vous plait, laissez nous faire notre travail!", mais elle me lance un sourire narquois, montrant du doigt son oreille, me faisant remarquer malgré mon portugais clair et audible, qu'elle ne comprend pas ce que je lui dit.

Go Home

A quelques centimètres de ma position, je viens à peine de finir, et tape sur l'épaule d'une jeune femme qui s'est postée derrière mon homologue arabe, qui tente tant bien que mal de formuler une phrase en regardant sa caméra. Elle me lance un regard noir " tu m'as touchée? Mais je vais te coller un procès". Une formule que j'entend souvent dans les manifestations d'extrême droite depuis plusieurs mois. Une forme perverse de pousser son "adversaire" à bout, pour lorsqu'il a le malheur de vous effleurer, lui déverser un discours moralisant sur l'intégrité physique, et le droit au respect.
Mais quel respect? J'ai beau regarder autour de moi, je n'en vois pas.
Nous replions bagages, décidés à rentrer au bureau, lorsque un groupe de jeunes nous lance en coeur "Go home". Ma caméraman replie le trépied lorsqu'elle entend une femme lui crier "les journalistes français, on va vous tuer!".
Dans la foule, quelques Brésiliens prennent tout de même notre défense "ne leur dites pas ça! regardez l'image que vous renvoyez! c'est ça que vous voulez montrer au monde?"
Mais le mal est fait.
Gente do bem, l'expression favorite de Jair Bolsonaro. Les "gens bien" qui aspirent au respect, à l'ordre et à la sécurité. L'électorat du candidat désormais président élu.
Ces gens bien n'auront pas vraiment montré leur bonté ce soir là.
Je rentre épuisée, avec une certaine rancoeur contre ce visage brésilien que je n'avais jamais vu en 5 ans de vie ici.
Si dans son discours Jair Bolsonaro a promis de respecter la constitution, l'Etat démocratique et la presse libre, espérons que son électorat en fera tout autant.

Son attaché presse, quelques minutes après la victoire, avait envoyé par WhatsApp à des dizaines de journalistes ce message tout sauf diplomatique:

"Hey! Alors, on était presque à égalité? Vous êtes les plus grands imposteurs du journalisme du Brésil. Vous êtes des ordures"

Ce lundi, il vient de leur présenter des excuses officielles.

Car si sa nouvelle posture présidentielle, plus modérée peu en rassurer certains, la violence de ses propos tout au long de la campagne fait augurer un déchaînement de violence verbales, et qui sait, pire encore, dans les prochaines années.

Fanny Lothaire