Lula, ou le destin du Brésil

Lula en campagne au Circo Voador, salle d'art et spectacle de Rio de Janeiro, le 2 avril 2018

La date et l’heure avaient été pourtant repoussées plusieurs fois… jusqu’au bout, le "Tribunal suprême fédéral", l'équivalent de la Cour Suprême, a essayé de ne pas être au centre des attentions. Aujourd’hui, tous les regards sont tournés vers les 11 juges du STF, réunis pour décider du sort de Lula, l’ancien président condamné en deuxième instance à 12 ans et un mois de prison pour corruption passive et blanchiment d’argent dans l’affaire du Lava Jato (lavage express).

En jeu? Approuver ou rejeter la demande d’habeas corpus de Lula. C’est à dire son droit à ne pas être emprisonner tant que tous les recours pour prouver son innocence n’ont pas été épuisés…

Une décision très technique qui polarise les spécialistes politiques du pays car il y a deux ans, une jurisprudence adoptée par cette même cours autorisait l’exécution provisoire des peines après le jugement en seconde instance.

Deux camps s’opposent donc, ceux persuadés que refuser cet habeas corpus équivaudrait à nier la présomption d’innocence. Et ceux pour qui cette jurisprudence a permis de mettre fin au sentiment d'impunité, en particulier parmi les personnalités politiques, qui grâce à de multiples recours, n'étaient souvent emprisonnées que plusieurs années après les faits. Pour les opposants à l'habeas corpus de Lula, accepter sa demande ouvrirait la voie à la remise en liberté d'autres personnalités politiques mises en cause dans le tentaculaire scandale de corruption Lava-Jato et fragiliserait l'ensemble de l'opération.

Lula est toujours favori dans les sondages dans la course à la présidentielle dont les élections sont prévues en octobre prochain ici. Libre, il pourrait continuer à faire campagne pour « clamer son innocence », en tribun hors pair. Emprisonné, Lula ne dira pas pour autant son dernier mot et continuera d’être candidat, jusqu’à ce qu’un autre tribunal, électoral celui-ci, décide de sa possible participation ou non à l’élection présidentielle.

Si sa demande d’habeas corpus est rejetée, alors le juge Sergio Moro, ennemi juré de Lula et en charge de l’opération Lava Jato, aura le droit de l’appréhender et de l’incarcérer dans les heures, les jours qui viennent.

Polarisation

Une décision juridique, devenue politique, qui polarise aussi la société dans un climat économique tendu ou les dérapages sont à tous les tournants: il y a quelques jours, la caravane de Lula a été visée par plusieurs tirs alors que le candidat faisait campagne dans l’état du Parana, au sud du Brésil.

Quelques heures avant le début du vote du STF, le chef d’état-major de l’armée brésilienne, le général Eduardo Villas Boas s’est exprimé sur twitter annonçant que l’armée restait « attentive à ses missions institutionnelles ». Il y a quelques jour, un autre Colonel de réserve avait dit être prêt à une « intervention militaire si Lula n’était pas emprisonné et élu président ». Une grande muette décidément bien bavarde pour un pays qui soigne encore ses plaies de la dictature militaire qui a frappé le pays de 1964 à 1985. Dans les rues, pro et anti lula ont promis de durcir leurs propos…

Est-on a un tournant brésilien?

Maintes fois, on a cru le pays tomber dans le précipice, chaque fois poussé un peu plus au bord, et puis rien…. se souvient-on des manifestations de juin 2013, ou des débordements près olympiques aux revendications sociales et économiques parties dans les vapeurs de l’alcool?). Parmi les manifestants, cette même classe militante, politisée, la fameuse "classe B" émergente qui est née grâce aux programmes sociaux et économiques du président Lula. 

Des manifestants véhéments tout au plus, quelques reportages à charge, une crise de confiance oui, mais qui n'empêche pas le Brésil de continuer son chemin, bizarrement, miraculeusement peut être. Lula est indéniablement lié au destin de son pays.

Fanny Lothaire