Dans un pays où les réseaux sociaux sont rois, à Rio de Janeiro le service de renseignements en a fait sa nouvelle arme.
Baltazar Nunes, un militant de gauche.
Baltazar Nunes est plutôt beau gosse, il apparaît sur son profil Tinder avec une barbe assez épaisse et une citation de Karl Marx “La démocratie est le chemin pour le socialisme”.
Toute jeune femme militante et idéaliste ne peut que tomber sous son charme de Che Guevara. Ce fut d’ailleurs le cas de Daniela.
Ils étaient tous les deux membres d’un groupe Whatsapp et Facebook qui organisait les manifestations à São Paulo contre l’ascension de Michel Temer à la présidence. La prochaine était prévue pour le jour de l’inauguration des Jeux Paralympiques.
Le 3 septembre, Baltazar Nunes ouvre un chat privé avec Daniela et commence à faire un éloge de ses photos. Trouvant sa technique de séduction douteuse, Daniela s’est sentie mal à l’aise et a cessé de répondre.
Le 4 septembre, jour de la manifestation, Daniela rencontre comme prévu le reste des membres des groupes Whatsapp et Facebook.
Les 21 militants anti-Temer étaient attendus par 30 policiers. Ils ont été déshabillés, inspectés puis conduits en prison.
Daniela remarque “Balta n’est pas ici”. Rapidement, elle avertit ses camarades avant que la police ne confisque son téléphone sur le groupe Whatsapp : “Balta est un infiltré”.
Le lendemain, les militants ont été remis en liberté.
« Baltra, l'infiltré ».
Baltazar Nunes n’a en fait jamais existé. Il n’a pas non plus une chevelure décoiffée ni de la barbe épaisse. Karl Marx n’a par ailleurs jamais dit de son vivant que “La démocratie est le chemin pour le socialisme”.
Baltazar Nunes s’appelle en réalité Willian Pina Botelho et c'est un officier d’intelligence qui a passé les deux dernières années de sa vie à contrôler les mouvements sociaux à São Paulo.
Il avait déjà fréquenté des membres du mouvement Terra Livre (Terre Libre), du mouvement Frente Povo Sem Medo (Front du peuple sans peur) et du mouvement Comunicadores Sem Medo (Communicants sans peur), selon la dénonciation de Midia Ninja.
La multiplication des infiltrés dans les mouvements sociaux
« Agência Pública », centre de journalisme d’investigation située à Rio de Janeiro et à São Paulo, a mené une enquête appelée « Vigilância » ( « surveillance ») dans laquelle est abordée l’utilisation d’infiltrés comme stratégie de renseignement. Il semblerait que les « Baltazars » dans les mouvements sociaux sont plus nombreux qu'on ne le croit.
A partir de plusieurs témoignages, « Agência Pública » a essayé de définir le profil-type d’un infiltré. Selon la militante des manifestations de 2013 connue sous le pseudonyme de « Sininho » (petite fée) qui a connu un infiltré qui se cachait sous le nom de « Wilson », la Police Militaire doit donc encore affiner ses techniques de séduction.
Elle trouve que les infiltrés ont un profil particulier qui peut « paraitre suspect » dit-elle. Ils sont toujours « musclés et athlétiques… on dirait des entraineurs sportifs professionnels » et « il s’habillent toujours trop bien… alors que nous, les vrais militants, on ne donne pas d’importance à nos vêtements troués » affirme-t-elle.
En plus, il semblerait que les infiltrés sur-jouent leur rôle au point d’en devenir ridicules, lourds et mielleux. « Ils veulent toujours aider et apprendre », « ils posent des questions trop évidentes et bêtes » dit « Sininho », le sourire aux lèvres.
Néanmoins, « Agência Pública », révèle que l’utilisation de l’infiltration comme technique de renseignement s’est multipliée depuis les successifs méga-évènements sportifs, dans l’objectif de faire régner « l’ordre public ».
Attention donc pendant le Carnaval, votre voisin de beuverie peut être un agent sur entrainé…
Anne-Dominique Correa pour Fanny Lothaire