Depuis plusieurs mois, la tension entre policiers et trafiquants est allée crescendo dans la Cité de Dieu jusqu’à son point culminant ce week-end.
A l’extrême ouest de Rio de Janeiro, au milieu des terres, s’étend la Cité de Dieu. En 1966, les habitants pensent trouver dans ces complexes sociaux en construction un refuge provisoire après que des inondations euent détruit d’autres favelas. Le complexe ne sera jamais terminé. La CDD, comme l’appelle ses habitants, est délaissée par le gouvernement, devenant le théâtre du trafic de drogue. Aujourd’hui pourtant, c’est la favela la plus connue de Rio et du monde. Et pour cause, en 2002, Francisco Meirelles réalise son film du même nom qui devient un succès international. Le monde entier découvre la Cité de Dieu et elle devient célèbre pour être la favela la plus dangereuse de Rio.
Pendant de nombreuses années les habitants vivent au rythme des affrontements entre factions et policiers. Les années Lula, l’arrivée d’ONG et de nombreux projets ainsi que les Unités de Police pacificatrices avaient contribué à une certaine amélioration de la vie des habitants.
Mais depuis la fin des Jeux, la tension entre policiers et trafiquants est allée crescendo dans la Cité de Dieu jusqu’à son point culminant ce week-end.
Depuis le matin du samedi 19 novembre, les chars de polices blindés, les hélicoptères survolant la communauté et les fusillades et affrontements entre trafiquants et policiers donnent à la CDD des allures de guerre. La page facebook CDD Acontece destinée aux habitants permet de suivre les évènements heure par heure avec à l’appui, vidéos et photos.
Aux alentours de 19h, un hélicoptère tente de tirer sur des trafiquants cachés dans la forêt. En revenant de l’opération, l’appareil s’écrase. Les quatre policiers présents à son bord trouvent la mort. La chute est dans un premier temps attribuée aux trafiquants. Ce ne serait pas la première fois puisqu’en 2009, un hélicoptère avait été abattu lors d’une fusillade dans la favela dos Macacos.
Le Secrétaire de la sécurité réfutera cette théorie face à l’absence d’impact de balles dans les corps et dans l’appareil. Et si l’enquête est toujours en cours, elle penche du côté d’un problème mécanique ou humain. Mais cet événement a attisé les tensions entre trafiquants et policiers, provoquant une escalade de la violence.
Le dimanche matin, alors que la veillée pour les policiers se prépare, des familles sortent sept corps de la forêt. Une découverte macabre après une nuit de recherche. Un des pères de famille reconnaît que les jeunes de la communauté participaient au trafic de drogue. Cependant cela n’explique pas l’état des corps. Il semblerait que les jeunes aient été exécutés en signe de représailles après la chute de l’appareil, et abandonnés dans la forêt. Le journal El Pais rapporte les paroles du Pasteur Leandro Martins da Silva, père d’une des victimes, aux journalistes. « Mon fils est là, il a été exécuté et l’autopsie va le prouver », a-t-il dit en montrant les corps recouverts de draps.
L’indignation se mêle à la tristesse et les familles entendent bien que justice soit faite.
Les affrontements ont continué ce début de semaine. Mercredi, les policiers civils et militaires ont envahi la communauté pour appréhender de possibles suspects. L’autorisation d’un mandat collectif afin de permettre la fouille de la communauté entière a été donnée le lundi par une juge de Rio, Angelica Dos Santos Costa.
Selon elle, « dans des circonstances exceptionnelles, des mesures exceptionnelles sont exigées afin de rétablir l’ordre public ».
Cette décision a été critiquée par de nombreux juristes brésiliens. Pour le criminaliste de l’Association des avocats de Sao Paulo, Leonardo Sita, la mesure est illégale et viole la Constitution.
« C’est dans un contexte comme celui-ci que surgissent des tentations autoritaires. Plus grande est l’illégalité, plus grande est la nécessité du pouvoir judiciaire de répondre en s’opposant : avec plus de légalité ».
Le Défenseur Publique de l’Union de Rio de Janeiro, équivalent de notre Défenseur des Droits, a lancé une action collective le mardi soir afin que cette mesure soit suspendue.
Quatorze personnes ont été arrêtées à la suite de cette opération.
La Cité de Dieu est le reflet de la crise que traverse les favelas de Rio. Les affrontements sont de plus en plus fréquents et dans la nuit de samedi, les réseaux sociaux relataient des fusillades dans d’autres parties de Rio.
Les Unité de Police pacificatrices (UPP) installées dans les favelas devaient apporter, outre la sécurité… une cohabitation meilleure pour que les services éducatifs (nouvelles écoles, professeurs extérieurs à la communauté) et sanitaires (introduction de nouvelles unités de soin, circulation des médicaments et des services d'urgence) puissent arriver sans soucis dans ces quartiers. La mission est loin d’avoir été remplie. Pour la population, ces UPP ont été une mesure « écran », permettant de faire illusion pendant les années Coupe du Monde – Jeux Olympiques.
Aujourd’hui, le vernis craque.
L’Etat de Rio de Janeiro est en faillite, les policiers sont peu, voire pas payés, souvent mal formés et soumis à des situations de risques et de stress intenses. L’ensemble de ces facteurs augmentant les risques de débordement mais aussi de corruption. Une opportunité pour les gangs qui essaient de gagner du terrain, augmentant de ce fait les affrontements.
Pour les habitants c’est un recul énorme vers une situation de violence et d’insécurité invivable. Si les trafiquants sont pointés du doigt par les médias, nombreux sont les habitants qui accusent surtout l’Etat d'être responsable de la situation actuelle et de la corruption rampante dans la police. Les nouvelles technologies sont la nouvelle arme des résidents qui de plus en plus filment les opérations afin d’en montrer les exactions.
Selon un habitant, un rassemblement se prépare au sein de la communauté afin de défendre leur droit et de mettre en lumière un quotidien loin d'être rose.
Marie Ndenga Hagbe pour Fanny Lothaire