Terrorisme néo-nazi : la fin d’un procès historique en Allemagne

Après plus de cinq ans d'audience, le jugement contre la NSU, une cellule terroriste néo-nazie qui a assassiné dix personnes dans les années 2000, est tombé à Munich. Retour sur une affaire hors-norme qui a traumatisé l'Allemagne et a mis en lumière d'incroyables failles dans les services de police.

Terrorisme d'extrême-droite inédit et crise profonde des renseignements, l’affaire NSU (Nationalsozialistischer Untergrund, "Clandestinité nationale-socialiste") a fait et fait toujours sensation en Allemagne. Avec 500 pages d’acte d’accusation, 95 personnes qui se sont portées parties civiles, 600 témoins entendus et 6 800 pièces à conviction examinées, il s'agit aussi du plus grand procès contre le terrorisme national-socialiste que le pays ait connu. Le verdict de la cour de Munich, qui vient de clore ce dossier-monstre en cours depuis mai 2013, était très attendu ce mercredi. L’accusée principale Beate Zschäpe a été reconnue coupable de meurtre, d’appartenance à une association terroriste et d’incendie volontaire. Elle a été condamnée à la réclusion à perpétuité, avec la mention de “gravité accrue”, ce qui empêche sa libération avant 15 ans. Son avocat Wolfgang Heer a fait appel.

Si Beate Zschäpe est au centre de ce procès, c’est parce qu’elle est la dernière survivante du trio exécutif de la NSU : son amant Uwe Böhnhardt et Uwe Mundlos sont morts lors d’une dernière action ratée. Le groupe clandestin a commis en tout 15 braquages avec tentatives de meurtre, 10 meurtres xénophobes, trois attentats à la bombe et un incendie volontaire entre 2000 et 2011. Pour cela, les trois n’étaient bien-sûr pas seuls : le réseau comptait probablement plus de cent personnes à travers le pays. Quatre coaccusés, qui ont fourni armes, cachettes et voitures, étaient jugés à Munich aux côtés de Beate Zschäpe et ont écopé d’entre 2,5 et 10 ans de détention.

Dix années dans la clandestinité

Uwe Böhnhardt, Uwe Mundlos et Beate Zschäpe étaient des amis de jeunesse, issus de la scène skinhead de Iéna, en ex-RDA. Membres d’une camaraderie d’extrême-droite dans les années 1990, ils se font remarquer très tôt par des actions de propagande anticonstitutionnelle et des menaces antisémites. Après une perquisition de leurs garages au cours de laquelle des explosifs et du matériel de propagande sont retrouvés, le trio disparaît dans la clandestinité pour éviter l'arrestation.

(DPA)

Pour financer cette vie de cavale, ils se mettent à braquer des banques et des bureaux de poste, pour un butin total estimé à 600 000 euros. Le groupe est également suspecté d’avoir arrondi ses fins des mois en exécutant des missions pour le crime organisé ou encore avec de la pédopornographie. Puis commencent les attentats. A Nuremberg en 1999 et à Cologne en 2001, ils placent des bombes maquillées en lampe torche et en boite de conserve dans un bar et dans une supérette. Les explosions blessent les propriétaires d’origine turque et iranienne. En 2004, dans une rue de Cologne qui regroupe de nombreux magasins turcs, leur bombe à clous fait 22 blessés, certains grièvement. Parallèlement, entre 2000 et 2006, ils abattent des entrepreneurs immigrés dans différentes grandes villes de l’Allemagne : huit Turcs et un Grec sont assassinés. La police n’établit pas de lien entre les attaques et rejette la piste xénophobe. Elle est pourtant évidente aux yeux des familles des victimes, qui organisent des marches silencieuses sous le slogan “Pas de dixième victime”. Les médias relate la série d’assassinats avec cette expression douteuse : les “meurtres-Kebab” (Döner-Morde). La dixième victime sera une jeune policière allemande, assassinée dans sa voiture de fonction aux côtés d’un collègue qui, lui, survit à la balle tirée dans sa tête.

Les dix victimes de la NSU. (dpa)

Une vidéo de revendication révèle l'existence de la cellule néo-nazie

Les atrocités du groupe prennent fin en 2011, quand Uwe Mundlos et Uwe Böhnhardt sont pris au piège de la police après un dernier braquage de banque : ils mettent le feu à leur caravane et - c’est l’hypothèse la plus probable - se suicident à l’intérieur. Restée derrière, Beate Zschäpe fait exploser leur appartement-cellule à Zwickau pour brûler les preuves des crimes qu'ils ont commis. Mais elle va envoyer à différentes institutions politiques et culturelles une vidéo de revendication de 15 minutes, qui va enfin révéler au grand jour l’existence de la NSU et permettre à la police d’établir le lien entre toutes ses actions.

"Aujourd'hui, opération Brochette de Kebab." Dans une vidéo de revendication, la NSU se moque de ses victimes et en annonce d'autres.

Beate Zschäpe se présente comme suiveuse innocente

Quelques jours après la mort de ses complices, Beate Zschäpe s’est livrée à la police, mais n’a quasiment pas parlé aux enquêteurs depuis, ce qui a considérablement ralenti l'instruction et le procès dont elle est l’accusée principale. Même après 437 jours d’audience, beaucoup de détails sur le fonctionnement et les choix stratégiques du groupe n’ont pu être élucidés. Figure clé énigmatique et peu bavarde, Beate Zschäpe n'a pris la parole qu’une seule fois, en 2016, pour se distancier de l’idéologie nazie. Mardi dernier, lors de la dernière audience consacrée aux allocutions finales des accusés, l’Allemagne a retenu son souffle dans l’espoir que la quadragénaire allait enfin lever le voile sur les dessous de la NSU. Mais encore une fois, les espoirs ont été déçus : “Je ne savais pas et je ne sais pas pourquoi ces personnes [les victimes NDLR] ont été choisies par Uwe Böhnhardt et Uwe Mundlos”, a-t-elle assuré, en rappelant qu’elle n’avait “plus de raison de taire quoi que ce soit”. Elle a exprimé ses regrets face aux proches des victimes de ne pas être intervenue et de ne pas avoir réussi à quitter Uwe Böhnhardt, dont elle se dit trop “dépendante émotionnellement”. Mais elle s’est encore défendue d’avoir été impliquée dans les meurtres : “Ne me condamnez pas pour quelque chose que je n’ai ni voulu, ni commis”.

Beate Zschäpe lors de la dernière audition du procès mardi dernier. (AFP)

Si elle n’a probablement pas commis d’attaques elle-même et a toujours nié avoir été au courant des plans de la cellule à l’avance, elle s’est rendue coupable de complicité au yeux de l'accusation. C’est notamment elle qui maintenait les apparences d’une colocation normale face aux voisins, pendant que les deux hommes exécutaient des immigrés, et c’est elle qui organisait la couverture du trio avec 11 identités différentes.

L'enquête: un fiasco

Pour l'Allemagne, cette affaire a été un traumatisme, tant par la nature des crimes de la NSU que par le comportement des autorités, aveugles face à ce terrorisme d'extrême-droite. Pendant des années, le trio a pu tuer sans être importuné par la police. Plutôt que de reconnaître le caractère raciste des meurtres, les enquêteurs ont suspecté les victimes turques et grecques d’être impliquées dans des réseaux criminels. Les services de renseignement, eux, ont été accusés par les médias d’avoir été au courant de l’existence et peut-être même de certains plans de la NSU, mais d’avoir omis d’intervenir pour ne pas démasquer les informateurs qu’ils payaient dans le milieu. Or, ces informateurs auraient réinjecté l'argent qu'ils recevaient de la police dans la scène néo-nazie - le renseignement aurait alors indirectement participé à financer la NSU. Enfin, après les premières révélations sur la NSU en 2011, plusieurs fonctionnaires ont détruit des dossiers concernant l’affaire, comme s’il y avait des éléments à cacher. Plusieurs dirigeants de l’office de protection de la constitution ont été obligés de démissionner.
Si l’affaire juridique a pris fin ce mercredi, les défaillances des renseignements allemands sont loin d’avoir été tirées au clair.

La fin de ce procès épique intervient dans un contexte de renouveau de la violence d’extrême-droite en Allemagne. Près de 22 500 délits ont été commis au nom de cette idéologie en 2016, soit une hausse de 13,6%.

Par Anja Maiwald