Pour Gottfried Lorenz et Friedrich Schmehling, rien n’effacera le « poids » d’une vie dans la peur et la clandestinité. Poursuivis pour homosexualité dans les année 50, ils se réjouissent du projet du ministre de la Justice, Heiko Maas, de réhabiliter et d’indemniser les homosexuels victimes du paragraphe 175 du code pénal allemand, en vigueur pendant 122 ans.
Introduit en 1872, un article du code pénal allemand entrainait la condamnation des homosexuels à différentes peines de prison pour «relations sexuelles contre nature» : «avec d’autres hommes» ou «des animaux». Il a été largement utilisé sous le IIIème Reich avant d’être abrogé en 1994. Selon Libération, 42 000 hommes ont été condamnés sous le nazisme pour homosexualité, et 10 000 à 15 000 ont été envoyés dans des camps de concentration. Heiko Maas envisage donc de dédommager les victimes : le projet de loi prévoit 3000€ par condamnation et 1500€ par année de détention.
"Ça pouvait me tomber dessus à tout moment"
Mais la loi est restée en place bien après la Seconde guerre mondiale. Être gay dans la jeune Allemagne de l'ouest démocratique, c'était avoir « toujours un pied en prison », résume Friedrich Schmehling, 74 ans, à l’AFP. Apprenti-menuisier, il a été rattrapé par la justice dès ses premières rencontres sexuelles dans les parcs de Rastatt (sud-ouest), et condamné lorsqu'il avait 15 ans à passer quelques semaines dans une prison pour mineurs. Si son jeune âge lui a valu d'être traité comme une victime plutôt que comme un criminel, l'un de ses partenaires d'un soir, majeur, a écopé de sept ans et demi de prison. Il ne l'a jamais revu. Friedrich Schmehling a mesuré l'impact de sa condamnation, même mineure, lorsqu'il a voulu postuler comme menuisier à la Cour d'appel de Berlin : l'emploi était fermé aux repris de justice.
Gottfried Lorenz, 76 ans aujourd'hui, avait, lui, 18 ans quand il a porté plainte après avoir été agressé et dépouillé par un homme qu'il venait de rencontrer à Saarbruck (sud-ouest). Mais c'est lui qu'on a poursuivi pour « relation contre nature ». « La police a été correcte, il n'y a pas eu d'insultes. Mais ces huit semaines m'ont paru une éternité », raconte à l’AFP cet enseignant affable dans son salon envahi par les livres et les marionnettes, près de Hambourg (nord). Gottfried Lorenz, a choisi de ne pas se marier, « une exception dans (sa) génération », et de « ne pas cacher » son orientation sexuelle à qui lui posait la question. Mais la répression pénale « signifiait avoir constamment peur que quelque chose m'arrive. C'est très fort : ça pouvait me tomber dessus à tout moment. Voilà le poids de cette vie », se souvient-il.
140 000 homosexuels condamnés
Les deux hommes ont échappé aux lourdes peines qui ont frappé tant d'homosexuels allemands - 50.000 condamnés après-guerre. Die Welt calcule qu’il y aurait eu 140 000 hommes en tout poursuivis en justice à cause de cette loi.
« Même sans être homophobe, on s'en servait pour écarter un rival », explique Mr. Lorenz, évoquant deux exemples devenus célèbres en Allemagne : les manœuvres des philosophes Adorno et Horkheimer pour écarter d'une chaire universitaire l'historien Golo Mann et la mise à la retraite d'office du général Günter Kiessling.
Les deux retraités approuvent le projet de réhabilitation, même si Gottfried Lorenz estime qu'une partie des hommes concernés ne se feront pas connaître - parce qu'ils ont épouse et enfants ou parce qu'ils n'ont pas gardé de preuve de la sentence.
Par Sibylle Aoudjhane (avec AFP)