"Donne rein contre place en crèche" : samedi dernier, 3 000 personnes ont manifesté dans le centre de Berlin pour alerter sur la situation des Kitas, les structures qui prennent en charge en Allemagne les enfants avant six ans. Comme d'autres régions du pays, la capitale manque cruellement de places d’accueil.
Quand Friederike Stelter est tombée enceinte, elle n'a pas voulu chercher une place en Kita avant même la naissance de l’enfant. Ridicule, pensait-elle. Finalement, elle a dû constater que la recherche était bel et bien un calvaire : “Nous sommes sur la liste d’attente de 30 Kitas et n’avons obtenu aucune réponse”, soupire-t-elle. “C’est une énorme frustration. On passe tout son congé parental à contacter des Kitas, à téléphoner, à se déplacer.” Quand la première année de son congé parental se termine, elle se voit contrainte de le prolonger pour s’occuper de sa fille - et perd désormais les allocations parentales, qui sont limitées aux 12 premiers mois en Allemagne. “Pour certaines familles, c’est un vrai problème quand il manque un salaire”, souligne-t-elle.
13 000 enfants sur le carreau
Car Friederike Stelter n’est pas seule : de plus en plus d’enfants n’ont pas de place d'accueil à Berlin, cette métropole en pleine extension. Les raisons sont multiples. Le taux de natalité augmente continuellement en Allemagne, avec 7% de croissance en 2016, ce qui replace le pays dans la moyenne européenne de 1,6 enfants par femme. La capitale attire de plus en plus d’habitants chaque année (41 000 nouveaux Berlinois en 2017 !) et les enfants de réfugiés ont également rejoint les structures éducatives de la ville.
Tout cela alors que les Kitas manquent cruellement d’éducateurs : leurs conditions de travail se dégradent dans des garderies de plus en plus surpeuplées, leur rémunération fait partie des plus basses du pays et peine à motiver les apprentis. Enfin, il manque l’espace : dans une ville qui grandit aussi vite que Berlin, difficile de trouver les locaux et terrains adaptés pour créer de nouvelles structures d'accueil.
La mairie de Berlin estime qu’il manque actuellement 2 500 places dans la ville, un chiffre largement revu à la hausse par l’Institut de l’économie allemande de Cologne, qui estime à 13 000 le nombre d'enfants de moins de trois ans qui ne sont pas pris en charge. À l’échelle du pays, l’institut considère qu’il manque 300 000 places - pourtant, il existe en Allemagne un droit légal à la garde d’enfants à partir du premier anniversaire.
"La croissance de Berlin n'a pas été bien anticipée"
Samedi dernier, plus de 3 000 mères, pères, enfants et éducateurs ont manifesté dans les rues de Berlin pour exprimer leur mécontentement. Le mouvement était porté par un groupe de jeunes parents dont Friederike Stelter fait partie : Kita Krise Berlin. Leur objectif est l’augmentation immédiate des places disponibles - et cela, sans perdre en qualité d’accueil. Ils demandent plus d’éducateurs et une revalorisation du métier par de meilleures rémunérations et formations. À l’Etat, ils demandent plus de locaux et un meilleur soutien pour les parents dans la difficile recherche d’une place d’accueil pour l’enfant, par exemple par le biais d’un système de candidatures centralisées. “La politique n’a pas fait assez ces dernières années", critique Friederike Stelter. "Le sujet a toujours été discuté et des places supplémentaires ont en effet été créées - mais pas autant qu’il aurait fallu. La croissance de Berlin n’a pas été bien anticipée."
Solution envisagée: surpeupler les Kitas !
Au Sénat de Berlin (la mairie), on répond à ces inquiétudes par des chiffres : 3 980 nouvelles places déjà été créées, 30 000 autres prévues à l’horizon 2021. Mais les solutions proposées pour créer ces places-là ne convainquent pas les parents comme Friederike Stelter : “Une des suggestions principales est de surpeupler les Kitas temporairement. À nos yeux, c’est justement la mauvaise approche, puisque l’origine de la crise est le manque d’éducateurs. Ils ne seront pas plus heureux dans leur métier s’ils ont encore plus de travail. Nous souhaitons des solutions très pragmatiques, qui prennent effet rapidement”. “Tout n’est pas possible dans l’immédiat”, répond Sandra Scheeres, la maire adjointe chargé de l'éducation.
Une réponse que les parents entendent à Berlin, mais aussi dans d'autres villes allemandes confrontées au même problème. Friederike Stelter et ses camarades veulent d'ailleurs élargir le combat : “Nous recevons beaucoup de demandes de gens qui aimeraient s’engager. Peut-être que nous allons nous mettre en réseau avec d’autres villes au niveau national, pour maintenir la pression - nous ne sommes pas encore arrivés au but.”
Par Anja Maiwald